Publié le 28 octobre 2015

Cop21 la notion

ENVIRONNEMENT

L’agriculture climato intelligente : une fausse bonne solution ?

Réduire les émissions de gaz à effet de serre et s’adapter au changement climatique tout en répondant aux impératifs de sécurité alimentaire. Voilà le triple enjeu d’une agriculture durable au vu des enjeux climatiques. Pour y arriver, le projet d’une agriculture intelligente face au climat a été lancé en septembre 2014. Mais derrière ce nom pompeux, le plus grand flou règne sur les modèles agricoles à promouvoir. Une seule certitude, l’agrobusiness soutient le projet alors que les organisations paysannes et environnementales le rejettent.

Climate smart farm crédit CIAT
Ferme climato-intelligente
International Center for Tropical Agriculture

L’agriculture climato-intelligente. Un terme ampoulé qui a fait son apparition dans les négociations climatiques il y a six ans lors de la préparation de la COP15 de Copenhague. C’est l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) qui l’utilise pour la première fois dans un document préparatoire pour la COP. Par ce terme, la FAO désigne une agriculture capable de répondre à trois objectifs : "une augmentation durable de la productivité et des revenus agricoles (sécurité alimentaire), l'adaptation et le développement de la résilience face au changement climatique et la réduction et/ou l'éradication des émissions (atténuation), dans la mesure du possible"

Des objectifs ambitieux et qui répondent aux défis posés au secteur. Mais il est aussi perçu comme arrogant dans le milieu agricole. D'autant plus qu'il reste flou.

 

Un quart des émissions mondiales  

 

Pour comprendre pourquoi il est aujourd’hui poussé dans les négociations internationales sur le climat (sans y être officiellement inclus pour autant), il faut d’abord faire un point sur l’importance du secteur en tant qu’émetteur de gaz à effet de serre, ces gaz responsables du réchauffement climatique.  

Le secteur agricole représente un quart des émissions mondiales. Aux émissions directes des activités agricoles (dioxyde de carbone lié aux consommations énergétiques du secteur, méthane émis par l’élevage et protoxyde d’azote issu des engrais azotés), s’ajoutent les autres utilisations des terres (principalement la déforestation). Ce changement d’usage des sols est légitimement associé à l’agriculture puisque les terres concernées sont largement destinées à des plantations industrielles comme celles de l’huile de palme (Indonésie), des cultures de soja et des pâturages (Brésil).  

Nourrir la planète représente même la moitié des émissions de gaz à effet de serre en intégrant les émissions des secteurs agro-industriels en amont (productions de produits phytosanitaires, machines agricoles, engrais...) et en aval (industrie agroalimentaire, transport des denrées...). Impossible donc d’écarter encore longtemps l’agriculture des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. 

Et ces défis sont gigantesques pour le secteur, qui subit aussi de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique. L’agriculture doit ainsi réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Et le potentiel de réduction est important. Le cinquième rapport du Giec (2014) l’évalue entre 20 et 60 % d’ici 2030. Elle doit également s’adapter au changement climatique tout en répondant aux impératifs de sécurité alimentaire. Or, selon la FAO, la production agricole devrait au moins doubler d’ici 2050 pour faire face à la croissance démographique.  

 

Une Alliance mondiale sans paysans ni société civile  

 

Sur la feuille, le concept d’agriculture climato-intelligente paraît donc plus que pertinent. Mais que recouvre-t-il exactement? C’est là que le bât blesse. Les pratiques exemplaires mises en avant par les organisations internationales ratissent très larges, de l’agroforesterie aux biotechnologies. A ce compte-là, les défenseurs d’une agriculture paysanne habituée à la variabilité climatique comme les partisans d’une agriculture centrée sur l’innovation technologique, peuvent se retrouver dans ce projet.  

Mais c’est loin d’être le cas. Car le projet est aujourd’hui essentiellement porté par l’Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat (Gacsa). Créée en septembre 2014, elle compte une soixantaine de membres : 22 pays dont la France, des organisations internationales, des centres de recherche et des entreprises du secteur privé. 

 

Réhabilitation des sols et séquestration du carbone  

 

De nombreux instituts de recherche - dont le Cirad, l'organisme français de recherche agronomique pour le développement - ont été associés très tôt à la réflexion sur une agriculture intelligente face au climat. Et ils continuent de défendre ce projet. Une des voies privilégiées par les scientifiques concerne la réhabilitation des sols agricoles dégradés.

La remise en état de ces sols, dont la surface est évaluée entre 1 et 3 milliards d’hectares, permettrait d’augmenter les rendements, tout en améliorant la fixation du carbone. En effet, un sol en bon état contient beaucoup de matière organique et donc de carbone. Cette approche tire le bilan des dégâts d’une exploitation intensive des terres et défend des pratiques agro-écologiques. Quant aux quantités de carbone atmosphérique effectivement séquestrées par ce procédé, elles font encore débat.

 

Une fausse "solution magique"  

 

Mais pour Via campesina, Greenpeace et beaucoup d’autres organisations internationales, régionales ou nationales, l’agriculture climato-intelligente est loin d'être une "solution magique". Pour ces ONG, elle servirait surtout l'agrobusiness particulièrement bien représenté dans l'Alliance. Ainsi, une majorité des industriels de la Gacsa opère dans le secteur des engrais. Difficile donc d’imaginer qu’ils limitent la consommation de leurs produits, pourtant reconnus comme responsables de plus de 60 % des émissions de protoxyde d’azote (dont le pouvoir réchauffant est 300 fois supérieur à celui du CO2). Et les moyens qui sont mis en avant par l'Alliance– notamment l’utilisation de technologies controversées comme les OGM – ne sont pas les bons selon les ONG qui privilégient la diversité des variétés et des pratiques agricoles et insistent sur la responsabilité de l’agriculture industrielle dans la crise écologique actuelle.

En septembre 2015, 355 ONG ont donc lancé un appel aux Etats pour qu’ils ne reconnaissent pas l’agriculture climato-intelligente "au risque de compromettre non seulement notre capacité à garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle mais aussi la nécessaire transformation radicale de nos systèmes agricoles".    

La complexité du sujet a jusqu’ici sorti l’agriculture des secteurs devant apporter leur contribution en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais l’ampleur du défi et son urgence changent la donne. En début d’année, lors d’une négociation préliminaire à la COP21, l’agriculture a même été intégrée pour la première fois au texte de négociation. Avant d’en sortir. Il devrait davantage en être question lors de la prochaine COP, la COP22 qui se tiendra à Marrakech fin 2016.

Magali Reinert
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