Publié le 23 septembre 2016
ENVIRONNEMENT
Bio en grande surface : vers une filière à deux vitesses ?
Promouvoir une alimentation "bio et locale". C’est le sens de l’action des agriculteurs bio, mobilisés jusqu’au 25 septembre autour de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB). Les industriels sont de plus en plus nombreux à surfer sur cette tendance. Après les rayons dédiés, qui ne cessent de s’étendre, Carrefour et Auchan ont lancé leurs propres magasins spécialisés. Une démarche commerciale logique au vu de l’explosion de la demande ces dernières années. De quoi poser les jalons d’une agriculture plus raisonnée ? Ou s’oriente-t-on plutôt vers une filière à plusieurs vitesses ? Éléments de réponses.

Loïc Venance / AFP
+14,5% en 2015. +20% en 2016. Le bio ne cesse de grignoter des parts de marché pour un chiffre d’affaires de 5,8 milliards d’euros l’an dernier. Et qui pourrait atteindre les 7 milliards cette année selon l’Agence Bio. Le chiffre de 9 milliards en 2020 est même évoqué par le cabinet Xerfi. Cette croissance à deux chiffres a de quoi faire saliver les différents acteurs du secteur. Et alimente la concurrence entre eux.
Les grandes surfaces ont bien sûr flairé le filon. Et si elles continuent de dominer le marché avec 43% des ventes, en valeur, en 2015, elles préparent déjà la suite. "Les grandes surfaces peinent encore à fidéliser des consommateurs de plus en plus exigeants sur la qualité et l’origine de l’offre. D’autant plus que les clients continuent à se méfier du caractère opportuniste de la conversion de la grande distribution au bio", analyse Xerfi dans son étude publiée en juillet. Mais, selon le cabinet, "les GSA (grandes surfaces alimentaires, ndlr) seront les grandes gagnantes de la vague de démocratisation du bio en France d’ici 2020. Grâce à leur puissance marketing, elles capteront les nouveaux acheteurs dans le vivier des consommateurs occasionnels."
La ruée de l’agroalimentaire sur le bio
Carrefour, par exemple, a lancé en 2013 son premier magasin 100% bio (Carrefour Bio) dans la capitale. On en compte désormais dix en région parisienne et un onzième est en cours d’ouverture. Et pour être présent aussi sur le web, le groupe a racheté en juillet le site spécialisé Greenweez, leader du bio en ligne avec plus de 30 000 références et 900 marques.
De son côté, Auchan a inauguré cette semaine son 2ème magasin "Cœur de nature" en plein centre-ville de Paris cette fois, après une première ouverture à Brétigny-sur-Orge. Le groupe Casino avait quant à lui mis la main, en 2008, sur la chaîne spécialisée Naturalia et ses 141 magasins. Et le groupe Leclerc affiche enfin son ambition de devenir le premier distributeur bio de France.
"Proposer des produits bons pour la santé et la planète est une valeur à laquelle on croit depuis plus de vingt ans. C’est pourquoi le bio fait partie de nos convictions, explique Sandrine Mercier, directrice développement durable chez Carrefour France. Ce n’est pas nouveau pour nous. Il n’y a pas d’effet mode. Nous sommes convaincus qu’il existe une autre façon de produire et que l’on peut passer d’une agriculture intensive à une agriculture plus respectueuse."
21 nouvelles fermes bio par jour
Pour répondre à l’explosion de la demande, 21 nouvelles fermes bio se sont installées chaque jour en France au cours des six premiers mois de l’année. Cela devrait porter à près de 6% la part du bio dans la surface agricole utile (SAU) d’ici la fin de l’année, contre seulement 2% en 2007, selon les prévisions de l’Agence Bio. Mais cela ne suffit pas à combler la forte appétence pour les produits d’origine biologique.
"La demande est telle qu’on manque de produits bio dans tous les rayons", note Stéphanie Pageot, la présidente de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB). "C’est notamment vrai par exemple pour la viande de porc, la charcuterie, dans la grande distribution, parce qu’il n’y a pas assez de production", complète François Guhl, le directeur de l’Agence bio, qui assure que "le changement d’échelle du marché bio est confirmé."
Un changement d’échelle qui ne doit pas se traduire par une baisse des exigences. "Aujourd’hui, nous nous mobilisons pour éviter les écueils du conventionnel et que ce changement ne s’accompagne pas de pratiques commerciales pénalisantes pour l’agriculteur, prévient Stéphanie Pageot. Il va falloir structurer les filières, contractualiser, planifier. Mais nous avons désormais un avantage. Cela se traduit par une véritable écoute, qu’on n’avait pas encore il y a quelques années, de la part des distributeurs. Il est plus facile d’imposer nos conditions même s’ils sont de plus en plus sensibilisés."
Quel avenir pour le bio ?
Carrefour par exemple, le leader de la grande distribution dans le bio avec 20% de parts de marché sur ce segment, se targue ainsi d’avoir noué 250 partenariats de longue durée avec des producteurs bio en France. "Notre but est effectivement de développer notre offre. Pour cela, nous rencontrons les producteurs, nous échangeons beaucoup avec eux pour trouver ensemble le moyen de produire mieux avec un modèle économique qui soit viable. Nous expérimentons de nouvelles solutions et nous sommes persuadés que nous pouvons faire changer les choses", témoigne Sandrine Mercier.
L’avenir de l’agriculture biologique sera à l’ordre du jour des 9èmes Assises de la Bio, qui se tiendront le 14 novembre au Centenaire à Paris. Fin août, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a également demandé à l’Agence Bio de travailler sur la façon d’accompagner l’essor du bio avec tous les acteurs. Ce travail sera initié pendant les Assises.
En attendant, pour couper court aux critiques sur le développement d’une filière à plusieurs vitesses, les dirigeants de l’Agence Bio se veulent clairs : "Ce n’est pas la grande distribution qui va tirer le bio vers le bas. Il n’y a qu’une seule agriculture biologique, un seul cahier des charges, une règlementation unique pour tout le monde."