Publié le 19 juin 2014
ÉNERGIE
Transition énergétique : La révolution attendra
Enfin. Après plusieurs reports, Ségolène Royal a présenté mercredi 18 juin l'avant projet de loi gouvernemental sur la transition énergétique. Annoncé lors de la campagne présidentielle comme un élément phare du quinquennat, le texte a été jusqu’au dernier moment l’objet d’intenses tractations. Quelques avancées concrètes sur l’efficacité énergétique des bâtiments ou la place des collectivités territoriales dans le système énergétique sont à relever. Mais le nouveau modèle énergétique français attendra.

© AA
"C’est une loi d’action et de mobilisation. Une loi qui va engager tout le pays dans la voie de la croissance verte". C’est par ces mots que la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal a présenté à la presse l'avant projet de loi pour la transition énergétique. Pourtant, à la lecture des 66 articles du texte, il est permis de douter que les mesures présentées soient à la hauteur de l’ambition exprimée.
Car la loi devait bel et bien servir à engager la France dans la voie d’un nouveau mix énergétique. Celle-ci devant à la fois permettre d’atteindre les objectifs de lutte contre le changement climatique en améliorant l’efficacité énergique et en développant les énergies renouvelable et de réduire la facture et la dépendance aux énergies fossiles.
Respecter a minima les engagements de François Hollande
Les objectifs annoncés par François Hollande lors de la conférence environnementale de 2013 sont confirmés. ils devraient être conforme aux objectifs européens. On retrouve ainsi dans le texte – très contesté par le patronat dans le débat national sur la transition énergétique– la volonté de réduire la consommation énergétique de 50% en 2050 par rapport à 2012. L’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre 40% d’ici à 2030 ou encore celui 40% de la production d’électricité d’origine renouvelable en 2030 seront également inscrits dans la loi.
Rien n’est en revanche fixé pour les économies d’énergie à horizon 2030. " Un point pourtant essentiel pour diviser par deux de la consommation d’énergie et par quatre l’émission de gaz à effet de serre d’ici à 2050", souligne le WWF (World Wide Fund). "On voit à peu près où l’on va mais on ne sait pas vraiment comment y aller", estime ainsi le responsable du programme climat et énergie de l’ONG (Organisation non gouvernementale), Pierre Canet.
"Inciter" aux économies d’énergies, essentiellement à travers le bâtiment
C’est le secteur bâtiment qui est le plus mis à contribution. Une mesure logique car c’est le plus gros poste de consommation d’énergie dans le pays (44% en 2012). Le projet de loi acte ainsi l’obligation d’ "améliorer significativement la performance énergétique d’un bâtiment à chaque fois que des travaux importants sont réalisés". Un point qui avait crispé les fédérations professionnelles lors de la conférence environnementale.
Mais "pas question d’accabler les ménages les plus modestes", souligne Ségolène Royal. La ministre entend donc privilégier "l’incitation" avec le renforcement ou la création de dispositifs financiers censés donner un coup de pouce aux particuliers. Les travaux de rénovation énergétique seront encouragés par la relance de l’éco-prêt à taux zéro, le doublement du fonds chaleur, la réforme des certificats d’économie d’énergie (CEE), la mise en place d’un tiers financement ou la création d’un fonds de garantie.
Développer massivement le véhicule électrique
Même logique pour "accélérer le changement" dans les transports. Le projet privilégie le bonus écologique pour inciter les particuliers à troquer leur véhicule diesel contre un véhicule électrique avec une enveloppe pouvant aller jusqu’à 10 000 euros par véhicule. La ministre vise l’installation de 7 millions de point recharge d’ici 2030. Outre les particuliers, les entreprises et l’Etat seront inciter à renouveler leur flotte, signe de l’intérêt particulier de Ségolène Royal pour le dossier.
Les collectivités voient quant à elles leur rôle s’intensifier dans la mise en œuvre de la transition énergétique. Une dotation de 5 milliards d’euros sera mise à leur disposition sous forme de prêts de la Caisse des dépôts. L’accent sera mis sur les secteurs du bâtiment, des transports et des énergies renouvelables. Une mesure saluée les ONG mais qui ne compense pas l’absence totale de de fiscalité écologique dans le texte de loi, jugée trop "punitive" par la ministre.Autre bémol : la large place laissée aux décrets d’application. Or, le syndrome des "décrets tertiaires" a laissé des séquelles chez les acteurs du secteur. Ils devaient instaurer une obligation de rénovation thermique des bâtiments du tertiaire. ils sont attendus depuis le Grenelle 2, soit depuis juillet 2010….
Le point noir du nucléaire
Pour diversifier le mix énergétique, Ségolène Royal suit la même méthode d’incitation. "Simplification des procédures administratives" pour les projets d’énergie renouvelables, développement du droit à l’expérimentation, multiplication des appels à projets et valorisation de la recherche… Mais les objectifs chiffrés sont laissés à l’appréciation de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) qui sera chargée d’établir une programmation pluriannuelle de l’énergie.
Mais c’est surtout la question du nucléaire qui fait débat. "Il est assez ironique d’entendre la ministre affirmer que c’est grâce à l’énergie nucléaire que la transition énergétique est possible", se désole Anne Bringault, la représentante du Réseau Action Climat France au Conseil National pour de Transition Energétique (CNTE).
Certes, l’objectif de réduction de la part de l’atome dans le mix électrique de 75 à 50% en 2025 est acté. Mais il s’agissait d’un minimum pour conserver au gouvernement une crédibilité sur le sujet. Rien n’a en revanche été annoncé concernant la réduction de la consommation d’électricité. Les discussions, qui se sont poursuivies jusqu’à 22h la veille de la présentation du projet de loi, ont notamment portées sur le rôle de l’Etat dans la définition de la stratégie nucléaire. "Concrètement, si l’Etat veut fermer la centrale de Fessenheim, il ne peut pas le faire", affirme Benoît Hartmann, porte-parole de France Nature Environnement (FNE). Pour les ONG, le texte porte carrément la signature d’EDF, dont le PDG Henri Proglio déclarait le 17 juin "Je n’ai pas de raison de douter une demi-seconde du fait que ce texte devrait aller dans le sens de l’intérêt du pays et donc nous convenir parfaitement".
"Il manque l'essentiel"
Pour Greenpeace : il manque tout simplement "l’essentiel : la limitation à 40 ans de la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires et la mise en place d’un mécanisme permettant à l’Etat de décider de la fermeture de réacteurs pour des raisons de pilotage du mix énergétique. (…) Cela laisse à EDF les clés de la politique énergétique", estime l’ONG dans un communiqué. Un point que les Verts assurent avoir réussi à inverser : "Nous avons obtenu que le commissaire du gouvernement, qui détient 85% d’EDF, puisse avoir un droit de véto au sein du Conseil d’administration, pour tout investissement qui contreviendrait à la programmation pluriannuelle de l’énergie dont nous avons réussi à allonger la durée", tient à souligner Denis Baupin, député EELV. "Il faut aussi souligner qu’en plafonnant la puissance nucléaire à 63,2 GW (soit la puissance actuelle ndlr), si EDF veut ouvrir Flamanville, il devra alors fermer deux réacteurs de 900 MW, donc Fessenheim", renchérit son collègue sénateur Ronan Dantec.
"La France se dote pour la première fois d’une programmation en matière énergétique. C’est un socle intéressant pour avancer", se réjouissent les députés. Avant d’assurer qu’ils feront "le maximum" pour améliorer le texte lors du débat parlementaire.Le prochain acte se jouera donc dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale. A une date qui reste à ce jour indéterminée.