Publié le 21 juin 2023
ÉNERGIE
"TotalEnergies est le groupe pétrolier le plus impliqué dans la transition énergétique" : oui, mais…
Régulièrement attaqué sur ses engagements climatiques, le patron de TotalEnergies est monté au créneau pour défendre l'entreprise. Dans une interview au Journal du dimanche, il assure être le groupe "le plus impliqué" dans la transition énergétique. Novethic a voulu vérifier cette déclaration, qui ne s'avère pas tout à fait fausse mais pas tout à fait vraie non plus.

Karim Jaafar / AFP
"Je ne dis pas que nous faisons tout bien, mais en France, on a parfois du mal à aimer les premiers de la classe", regrette Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies dans une longue interview accordée au Journal du dimanche, le 18 juin dernier. "[La critique] la plus injuste, c’est de nous reprocher de ne pas être engagés dans la transition énergétique, et de nous accuser de greenwashing. Nous avons investi 2 milliards d’euros dès 2020, puis 3 milliards en 2021, puis 4 milliards l’an dernier. Et 5 milliards d’euros en 2023 dans les énergies renouvelables et bas carbone. Nous sommes la major pétrolière la plus impliquée dans ce pari stratégique", ajoute-t-il.
En trois ans, la major qui fait régulièrement l’objet d’attaques, a en effet plus que doublé ses investissements dans sa division iGRP (Integrated Gas, Renewables & Power). Mais cette dernière regroupe en plus des énergies renouvelables, l'hydrogène, le captage et stockage de CO2 ou encore les centrales électriques au gaz, ce qui représente un biais puisque le gaz est une énergie fossile. En outre, si 4 milliards d’euros ont bel et bien été orientés vers la "transition énergétique" en 2022, ce sont encore plus de 12 milliards qui ont été investis dans le pétrole et le gaz, soit trois fois plus.
Des investissements en hausse dans les énergies bas-carbone
Dès lors, peut-on considérer que TotalEnergies fait mieux que ses concurrentes ? C’est ce qu’a cherché à savoir l’ONG Reclaim Finance dans un rapport publié en mai dernier. Elle y analyse les stratégies climat des neuf plus grandes entreprises pétro-gazières : Exxon, Shell, BP, TotalEnergies, Chevron, ConoccoPhillips, Eni, Repsol et Equinor. Et il apparaît que sur ce critère du ratio des investissements bas-carbone, TotalEnergies serait en effet la plus vertueuse. Quand TotalEnergies investit trois fois plus dans le pétrole et gaz que dans les énergies bas-carbone, Shell est à six fois plus, BP à 14 fois plus et Equinor à 32 fois plus.
"La comparaison est toutefois difficile, prévient Louis-Maxence Delaporte, analyste énergie au sein de Reclaim Finance, interrogé par Novethic. Chaque entreprise a sa propre définition des énergies bas-carbone et beaucoup manquent de transparence. Ainsi il est impossible de savoir combien TotalEnergies investit réellement dans les énergies renouvelables."
Repsol par exemple peut être considérée tout aussi vertueuse puisque pour un euro investi dans les énergies renouvelables au sens strict, l'Espagnole investit quatre euros dans le pétrole et le gaz, soit légèrement plus que TotalEnergies. On est quoiqu'il en soit loin de ce qu'il faudrait faire puisque l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que d'ici 2030 il faudrait investir neuf dollars dans les énergies bas-carbone pour un dollar investi dans les fossiles.
Dans le trio de tête sur la décarbonation du mix énergétique
Si l’on regarde les investissements à 2030, la situation s’inverse totalement. Equinor prévoit par exemple d’augmenter sa part d’investissement consacrée aux énergies renouvelables et bas-carbone à 30% d’ici 2025 et à 50% d’ici 2030. En revanche, chez TotalEnergies, les investissements futurs dans les énergies bas-carbone représenteront moins d’un tiers de ses dépenses d’investissement, contre 67% pour le pétrole et le gaz d’ici la fin de la décennie. "Surtout 30% de ces nouveaux investissements seront consacrés aux nouveaux projets fossiles alors que l'AIE dit qu'il faut arrêter tout nouveau projet pétrolier ou gazier pour être aligné avec le scénario 1,5°C", précise encore le spécialiste.
D’autres critères sont passés au crible, comme le mix énergétique de chaque pétro-gazier à l’horizon 2030. Ici Shell et Repsol arrivent en tête avec une part de renouvelables de 22% contre 14% pour TotalEnergies qui se situe toutefois dans le trio de tête. La major française apparaît également comme la moins pire en termes d'intensité carbone en 2030 (l’intensité carbone mesure les émissions de gaz à effet de serre générées pour produire un baril de pétrole). Mais l’intensité carbone visée par TotalEnergies en 2030 serait encore supérieure de 20% à celle du scénario Net Zero Emissons (NZE) de l’AIE qui prévoit d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Dernier de la classe pour la production de pétrole et gaz
Et c’est bien là le problème. Car si Patrick Pouyanné se targue d’être le groupe le plus "impliqué" dans la transition énergétique, la comparaison est peu flatteuse car aucune des grandes majors pétro-gazières aujourd’hui n’est alignée avec un scénario 1,5°C. "TotalEnergies reste le septième plus gros développeur de projets fossiles au monde, rappelle Louis-Maxence Delaporte. On ne peut pas dire que le groupe soit vraiment en transition, il porte plutôt une stratégie climaticide."
Il y a notamment un indicateur assez révélateur qui montre que TotalEnergies n’est pas du tout sur la bonne piste, c’est celui qui mesure la trajectoire de production de pétrole et gaz à 2030. Et là, le Français arrive en queue de peloton. Son objectif de production de pétrole et de gaz serait en effet supérieur de 81 % au niveau requis pour s’aligner sur le scénario NZE. "D’ici 2030, TotalEnergies va investir 4,5 milliards de dollars par an dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers, y compris des projets de GNL", pointe Reclaim Finance.
Des investissements que Patrick Pouyanné assume : "En effet, nous ne renonçons ni au pétrole ni au gaz et nous continuons à investir dans les énergies fossiles, parce que nos clients les utilisent encore tous les jours, indique-t-il au JDD. Si le monde arrive à se placer sur cette trajectoire bas carbone d’ici à 2050 et à diviser par quatre la demande de pétrole par rapport à aujourd’hui, nous diviserons également notre production par quatre. Mais cela ne peut pas se faire d’un coup de baguette magique", se défend Patrick Pouyanné.