Publié le 17 mai 2022

ÉNERGIE

Le biogaz, une alternative made in France au gaz russe qui est loin de faire l'unanimité

Face aux tensions d’approvisionnement en gaz russe, la France mais aussi l’Union européenne misent sur le biogaz. Produit grâce à la fermentation de matières organiques, il pourrait fournir 7 à 10 % de la consommation dans l’Hexagone à l’horizon 2030, soit la moitié du gaz importé depuis Moscou. Mais le développement des méthaniseurs dans nos campagnes soulève de plus en plus d’oppositions. La Confédération paysanne notamment demande un moratoire sur le sujet.

Methaniseur CC0 Martina Nolte
L’Hexagone compte 1 300 méthaniseurs facilement reconnaissables à leur dôme vert, et près de 800 projets en cours de développement.
CC0 / Martina Nolte

Le biogaz made in France pourrait remplacer la moitié du gaz russe importé d’ici 2030, selon le gouvernement. Et même 100 % à en croire l’Association française du gaz (AFG) si tous les obstacles économiques et réglementaires étaient levés, soit 15 à 20 % de la consommation à cet horizon. "Si on donne un coup d'accélérateur, on va y arriver", assure Thierry Chapuis, son délégué général. "Aujourd’hui, il y a 25 térawattheures de méthaniseurs dans les tuyaux, c’est pour cela que nous sommes relativement confiants sur le développement de la filière" ajoute-t-il.

Alors qu’ils n’étaient que 200 dans les années 2010, l’Hexagone compte aujourd’hui 1 300 méthaniseurs facilement reconnaissables à leur dôme vert, et près de 800 projets en cours de développement. Si la grande majorité produit de l’électricité ou de la chaleur en cogénération, la tendance est aux installations connectées au réseau afin d’y injecter directement le biométhane. Elles ont augmenté de 70 % en 2021. D’ici 2030, on devrait ainsi atteindre 60 térawattheures de biométhane injecté dans le réseau contre 10 TWh fin 2022.

"Le biogaz, un levier vers l'indépendance énergétique"

Afin de lever certains obstacles, le gouvernement a multiplié les annonces ces dernières semaines. Fin avril, il a publié un décret visant les certificats de production de biogaz, qui imposent aux énergéticiens un taux minimum de biométhane dans leur production de gaz. Le ministère de la Transition Ecologique a également officialisé le lancement d’un appel d’offres pour les grands projets (plus de 25 gigawattheures par an). Jusqu’à ce jour, seuls les méthaniseurs de petite taille bénéficiaient d’un contrat d’achat de l’électricité avec l’Etat, comme les filières éoliennes ou solaires.

Signe que la filière se consolide, de nombreux industriels investissent eux aussi dans le biogaz. TotalEnergies a racheté l’an dernier Fonroche Biogaz, leader du marché français de gaz renouvelable. Engie de son côté, avec sa filiale Engie Bioz, compte près de 20 unités en exploitations. "La crise actuelle de l’énergie nous le rappelle : nous devons sortir au plus vite des énergies fossiles en développant rapidement des alternatives décarbonées. Développer nos capacités de production de biogaz est un des leviers pour accélérer et assurer notre indépendance énergétique" soutient Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique.

"L'essor de la méthanisation réduit les possibilités de rupture vers l’agroécologie"

Mais le déploiement des unités de méthanisation ne se fait pas sans heurts sur le terrain. Accaparement des terres, concurrence entre cultures alimentaire et énergétique, pollution de l’air et de l'eau, appauvrissement des sols, odeurs nauséabondes, gestion des digestats, dépréciations immobilières… Les critiques sont nombreuses et les mobilisations en hausse, si bien que la Confédération paysanne Eaux et rivières de Bretagne et la Capseb (Convergence pour une agriculture paysanne sociale et écologique en Bretagne) demandent un moratoire sur la méthanisation.

"Nous ne sommes pas contre la méthanisation par principe, mais nous dénonçons les dérives d’une méthanisation industrielle" explique le syndicat agricole. "On tend un nouveau piège aux agriculteurs pour qu’ils deviennent des producteurs d’énergie. Cela renforce la filière productiviste et réduit les possibilités de rupture vers l’agroécologie. C’est pourquoi nous demandons un moratoire, avec un bilan carbone sur le cycle de vie, l’impact pour le développement de l’agroécologie et un relevé précis des incidents" détaille Pierre Étienne, animateur de la Capseb.

En août 2020, à Châteaulin dans le Finistère, plus de 400 m3 de digestat, des résidus de méthanisation de matières organiques naturelles, se sont déversés dans l’Aulne, depuis la centrale de production de biométhane d’Engie Bioz, privant 180 000 personnes d’eau potable pendant plusieurs jours. De tels incidents ne sont apparemment pas si rares. En novembre dernier, à Rarécourt et Froidos, dans la Meuse, les nappes phréatiques ont été polluées. Si l’enquête est encore en cours, la méthanisation est là aussi pointée du doigt.

Concepcion Alvarez @conce1


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