Publié le 14 avril 2016

ÉNERGIE

Denis Baupin : "réorienter la finance vers l’économie verte"

Rapporteur de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (dite TEE) adoptée par le parlement le 17 août 2015, Denis Baupin a intégré, avec son homologue socialiste Arnaud Leroy, des dispositions incitant entreprises, investisseurs et banques à communiquer des informations sur leur gestion des risques liés au climat. Le député écologiste continue à veiller au bon déploiement des mesures intégrées dans l’article 173 (notre dossier spécial est à consulter ici) de la loi sur la TEE dans le cadre de la mission d'information sur son application. Son objectif est clair : faire migrer les flux financiers vers une économie bas carbone.

Denis Baupin, au perchoir de l'Assemblé nationale en 2012.
Jacques Demarthon / AFP

Anne-Catherine Husson-Traore : Quel était votre objectif en tant que législateur, lorsque vous avez introduit dans la loi de transition énergétique cet article 173 ? 

Denis Baupin : Donner de l’intérêt économique à ce qui est écologiquement indispensable. La transition vers une économie bas carbone n’est possible qu’à condition de pouvoir financer cette transformation profonde. Cela suppose que le secteur financier se déplace massivement de l’économie carbonée vers celle qui l’est beaucoup moins et investisse dans les solutions qui facilitent cette décarbonation.

La première étape de cette mutation consiste à imposer la transparence sur les émissions de gaz à effet de serre générées par les activités des entreprises. Cela permet une première prise de conscience, qui conduit les investisseurs à prendre la mesure des risques de vulnérabilité de leurs portefeuilles en cas d’exposition aux entreprises carbo-intensives. C’est pour cela que nous avons introduit des amendements dans la loi sur la transition énergétique incitant les entreprises à publier leurs émissions, les investisseurs à évaluer leur risque carbone et les banques à mettre le sujet à leur agenda.

 

Quels arguments vous ont-ils été opposés ?

Les lobbys financiers traditionnels ont utilisé des arguments classiques sur le handicap de compétitivité que constituerait pour la place de Paris une législation exclusivement française. Ils ont plaidé pour attendre le déploiement de dispositifs européens, voire mondiaux, ce qui est un bon moyen de remettre tout cela à beaucoup plus tard.

Notre chance a été de porter ce sujet dans un contexte où la France, qui accueillait la COP21, souhaitait se montrer exemplaire. Nos amendements ont donc été adoptés et les ministres des finances et de l’environnement ont ensuite porté cet engagement dans le cadre de la conférence climat organisée au Bourget en décembre dernier.

Mais il faut rester vigilants pour que les décrets d’application ne dénaturent pas l’esprit de la loi. Nous y avons veillé pour les obligations des investisseurs. Nous surveillons le décret concernant les obligations des entreprises, qui n’est pas encore sorti, et attendons avec impatience le rapport des banques d’ici la fin de l’année. 

 

Pensez-vous que les investisseurs français sont prêts à intégrer dans leur politique de gestion et leur reporting la notion de risque climat et plus largement des paramètres environnementaux et sociaux ?

Les lignes bougent et la prise de conscience progresse, parce que ces dispositions sont en lien avec un bouleversement de la donne énergétique. Le modèle économique du charbon s’effondre, alors que les énergies renouvelables dépassent toutes les prévisions en termes de développement.

Pour que le phénomène devienne massif, il faut bien sûr trouver les bons indicateurs qui permettent de faire de l’empreinte carbone un élément de différenciation lisible et visible pour les investisseurs et les entreprises, tout comme pour les ONG et les médias. Ces dispositions vont produire progressivement leurs effets, mais elles témoignent d’un phénomène nouveau : l’alliance objective entre l’écologie et la finance, quand elle va dans le bon sens. 

Propos recueillis par Anne-Catherine Husson-Traore
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