Publié le 13 mai 2015

ÉNERGIE

Les Amis de la Terre appellent les banques à ne plus soutenir le charbon

Tarir le financement du charbon. C’est l’objet de l’appel de Paris, lancé le 12 mai par Les Amis de la Terre. L’organisation non gouvernementale appelle les banques à ne plus soutenir la production de la plus polluante des énergies fossiles. Une initiative qui intervient seulement quelques jours avant le Finance day. Cette manifestation, qui aura lieu le 22 mai prochain au siège de l’Unesco à Paris, sera consacrée à la nécessaire implication du secteur financier dans la lutte contre le changement climatique.

Campagne visuelle de l'appel de Paris publiée dans le Monde daté du 13 mai 2015.
Les Amis de la terre

Une quarantaine de représentants politiques, des économistes, des scientifiques et des climatologues… Toutes ces personnalités ont signé l’Appel de Paris.  Elles demandent aux banques de ne plus participer aux financements de projets en lien avec le charbon, et ce dès cette année. Elles réclament également la publication d’un plan d’arrêt avec un agenda et des objectifs détaillés dans les six mois suivant la COP21.

"La priorité est de ne pas continuer à aggraver la situation", explique Lucie Pinson, chargée de campagne banques privées aux Amis de la Terre. "Aujourd’hui, les principales banques françaises actives à l’international - BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole - ont bien adopté des politiques sectorielles publiques sur le charbon [notamment sur l’extraction, les impacts socio-environnementaux et le respect des droits de l’Homme, NDLR], mais elles se contentent d’empêcher le pire du pire alors qu’il faudrait exclure totalement le charbon, sauf exception quand on ne peut pas faire autrement."

 

6 milliards de dollars dans le charbon en 2014

 

En 2014, les banques françaises ont injecté plus de six milliards de dollars dans des entreprises d’extraction du charbon ou de production d’électricité à partir de charbon, selon un rapport publié le 5 mai par les ONG BankTrack, Rainforest Action Network et le Sierra Club, qui se basent sur l’analyse des pratiques de 26 banques internationales. 30 milliards d’euros ont été versés entre 2005 et avril 2014 par les banques françaises, faisant d’elles le quatrième plus gros financeur du secteur du charbon au monde sur cette période.

"De plus en plus de banques internationales reconnaissent qu’elles ont un rôle à jouer dans la transition énergétique. Malheureusement, ces mêmes banques qui se targuent de leurs investissements dans les énergies renouvelables sont les mêmes qui continuent à financer l’industrie du charbon, quand les climatologues nous disent qu’il faut laisser presque tout le charbon dans le sol, dès maintenant, pour rester sous le seuil des 2°C d’ici la fin du siècle. Il y a eu du progrès depuis 2014. De plus en plus de banques renoncent à financer des projets charbonniers 'extrêmes', comme les projets du bassin de Galilée en Australie ou le « mountain top removal » (MTR) aux États-Unis. Mais c’est malheureusement loin d’être suffisant", estime Yann Louvel, coordinateur de la campagne Climat-Energie de BankTrack.

 

Le risque réputationnel comme levier

 

BNP Paribas et Société générale font partie des banques qui ont renoncé à soutenir les entreprises qui utiliseraient la technique du MTR. Crédit Agricole, qui tient son Assemblée générale le 20 mai prochain, n’a quant à elle pas souhaité rallier ses consœurs. "Notre priorité est de faire reculer la banque sur cette position", précise Lucie Pinson, des Amis de la Terre.

En revanche, les trois banques partagent la même position sur le retrait du bassin de Galilée en Australie, deuxième plus grande zone de développement du charbon au monde. Une victoire ? "Pas vraiment, estime Lucie Pinson. Ces projets étaient extrêmement controversés, et les banques auraient dû faire face à un risque réputationnel très fort."

 

BNP Paribas : première banque française à financer le charbon

 

Alors que BNP Paribas tenait son Assemblée générale aujourd’hui, l’ONG l’a interpellée sur ses soutiens au secteur du charbon, et notamment au projet de centrale à charbon de Rampal au Bangladesh, en présence de Maha Mirza, chercheuse bangladaise et activiste. "BNP Paribas n’a pas été contactée pour financer ce projet et si tel était le cas, dans l’avenir nous avons bien pris note de leur alerte", répond Laurence Pessez, directrice de la RSE au sein du groupe.

"Toute nouvelle transaction liée à ces secteurs est soumise à une analyse des risques environnementaux et sociaux, et ne peut être acceptée si les critères obligatoires ne sont pas remplis" ajoute Laurence Pessez. "L’une des illustrations de cette stratégie est le mix électrique financé par le groupe, qui est moins carbone que le mix mondial. Avec 23,3% de renouvelables contre 59,5% de fossiles, il est en avance sur le mix mondial qui n’intègre que 21% de renouvelables contre 68% de fossiles."

BNP Paribas reste toutefois la banque française qui finance le plus le secteur du charbon, avec 1,9 milliard de dollars versé l’an dernier. Elle est neuvième au niveau international, toujours selon le rapport "The end of Coal", publié par BankTrack, Rainforest Action et le Sierra Club. Parmi les projets les plus contestés qu’elle soutient - aux côtés de Crédit Agricole, Société générale, BPCE/Natixis et Crédit mutuel - il y a la construction de deux centrales à charbon en Afrique du Sud depuis 2009.

Rien que l’une d’entre elles va émettre "25 millions de tonnes de CO2 par an dans un pays déjà responsable de 40% des émissions de gaz à effet de serre du continent africain", rapporte une note publiée aujourd’hui par Les Amis de la Terre et BankTrack. "Et elle produira une électricité un tiers plus chère que l’électricité déjà produite par les énergies renouvelables dans le pays."

 

Les engagements forts de la Banque Mondiale

 

Autre investissement qui fait polémique, celui de la méga-centrale de Tata Mundra en Inde, opérationnelle depuis 2013. "BNP est la seule banque privée internationale à avoir soutenu le projet", détaille la note. Celui-ci fait aujourd’hui l’objet d’un recours aux États-Unis, après un dépôt de plainte des pêcheurs et paysans locaux. La Banque Mondiale, via sa branche de financement privé, la Société financière internationale, a également soutenu le projet.

"C’était un manquement de la part de la Banque Mondiale", reconnaît Lucie Pinson. "Mais depuis, l’institution a pris des engagements forts sur le charbon, qui vont au-delà de ce que font les banques1. Elle a décidé d’arrêter de financer toutes nouvelles centrales à charbon, sauf cas particuliers."

 

[1] La Banque mondiale a par ailleurs publié lundi 11 mai un rapport prônant la décarbonation du développement en trois étapes : investir dans la recherche et les technologies, mettre en place une tarification du carbone et supprimer les subventions aux combustibles fossiles.

Concepción Alvarez
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