Publié le 21 juin 2019
ÉNERGIE
[Décryptage] Pourquoi la chute du réacteur nucléaire EPR ne devrait réjouir personne
Le nouveau retard de l’EPR, qui ne devra pas démarrer avant 2022 au mieux, est un terrible coup de boutoir pour EDF et pour tout le programme de nouveau nucléaire en France. Mais c’est aussi une très mauvaise nouvelle pour la politique climatique française. Car sans la puissance de l’EPR et alors que Fessenheim va fermer, ce sont des énergies fossiles qui vont prendre le relais. Celles des 16 centrales à gaz françaises et surtout celles issues des outils de production de nos voisins européens.

@EDF
Jeudi 20 juin, nous venons sans doute d’assister à un virage majeur de l’histoire nucléaire française. Même les plus "nucléaro-enthousiastes" reconnaissent que l’annonce d’un nouveau retard du réacteur EPR grève sérieusement toute nouvelle construction dans le pays. On ne peut imaginer que le gouvernement en fin de mandat puisse envisager de nouveaux projets alors que le "Fleuron EPR", en construction depuis 2008, sera toujours à l’arrêt.
Tout repose sur un problème de soudure, un domaine extrêmement complexe dans le milieu nucléaire. Il y a un an des écarts de qualité sur des soudures du circuit secondaire ont été détectés par EDF. Si la majorité pouvait être reprise facilement, huit d’entre elles se situent à travers l’enceinte en béton du bâtiment réacteur et leur accès est extrêmement complexe.
EDF était convaincu de pouvoir certifier à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) la solidité de ces soudures par le calcul. Mais le gendarme de l’atome a rejeté la démonstration et a imposé que ces huit écarts soient réparés avant le démarrage du réacteur. "La rupture des soudures de l’EPR ne peut plus être considérée comme hautement improbable", a assuré le Président de l’ASN Bernard Doroszczuk.
« La rupture des soudures de l’#EPR ne peut plus être considérée comme hautement improbable » B. Doroszczuk @ASN pic.twitter.com/JWvORTHdUy
— Autorité de sûreté nucléaire (ASN) (@ASN) 20 juin 2019
Situation électrique tendue
Les conséquences sont lourdes. La mise en service à pleine puissance du réacteur était attendue pour 2020, avec déjà huit ans de retard et un triplement de son coût à 10,9 milliards d’euros. Désormais, un démarrage n’est pas attendu avant 2022. Quant au surcoût, EDF le communiquera dans quelques semaines. Du côté des anti-nucléaires, on se félicite de cette sentence. Selon Greenpeace, cette "décision sans appel de l'ASN décrédibilise tout le programme EPR et la stratégie industrielle d'EDF".
En réalité, personne ne peut se réjouir de ce retard car il interroge sérieusement la transition énergétique française. Sans un EPR fonctionnel et ses 1600 MW, le pays va se retrouver dans une situation électrique tendue, si l’on en croit les conclusions du gestionnaire du réseau électrique RTE, dans son rapport de fin 2018 sur la sécurité d’approvisionnement du pays d’ici 2023. Pour lui, la mise en service de l’EPR était à articuler finement avec trois variables d’ajustement.
La première est la fermeture des réacteurs nucléaires de Fessenheim, prévue en 2020 à l’âge de 40 ans. Leur prolongation semble impossible puisque EDF devrait massivement investir pour cela. La deuxième est la fermeture ou la conversion à la biomasse des quatre dernières centrales à charbon de l’Hexagone prévue pour 2022. Repousser cette fermeture irait à contresens de l’histoire. La troisième est la montée en puissance des renouvelables, mais le retard pris, en particulier sur l’éolien offshore, ne leur permettra pas de combler le manque.
Une France plus carbonée
Dès l’annonce de l’ASN, l’exécutif a arbitré. Interrogée sur Public Sénat, Brune Poirson, secrétaire d’État à la Transition écologique, l’affirme : "Nous avons pris acte et nous avions d’ailleurs anticipé ce scénario pessimiste. Cela ne changera pas notre décision et notre programme de travail à savoir la fermeture de Fessenheim en 2020 et la fermeture des quatre centrales à charbon d’ici la fin du quinquennat".
Brune Poirson confirme que la fermeture de Fessenheim n'est pas conditionnée à la mise en route de l'EPR de Flamanville https://t.co/0POpDe3Uod
— Public Sénat (@publicsenat) 21 juin 2019
La France va donc devoir, au moins sur la période 2020-2022, compter, d’une part, sur ses 16 centrales à gaz du territoire, plus la centrale de Landivisiau (Finistère) attendue pour 2021. Cette énergie est moins carbonée que le charbon mais bien plus émettrice que le nucléaire. D’autre part, le pays devra sans doute accroître les importations d’électrons de ses voisins allemand, italien ou espagnol... ce qui va ternir son bilan carbone en raison du fort recours aux fossiles au-delà de nos frontières.
Ludovic Dupin @LudovicDupin