Publié le 11 mars 2023

ÉCONOMIE

Shein déploie ses tentacules dans les villes françaises et prépare son introduction en Bourse

Alors que les enseignes traditionnelles tombent comme des mouches en France à l'instar de Camaïeu, Pimkie ou San Marina, le géant du e-commerce Shein poursuit son ascension fulgurante et s'installe pour quelques jours en physique à Lyon. Mais ses impacts sociaux et environnementaux et ses pratiques commerciales très décriées poussent plusieurs acteurs à demander son interdiction en France. Outre-Atlantique, le groupe prépare surtout son introduction en Bourse, une des plus importantes de l'année. 

Shein Yuichi yamazaki afp
Une action de We Dres Fair est attendu ce 11 mars devant le magasin éphémère de Shein à Lyon.
Yuichi Yamazaki / AFP

Après Paris, Toulouse et Montpellier, c’est à Lyon que le géant chinois Shein a décidé de poser ses valises. Pendant trois jours, du 11 au 14 mars, les jeunes Lyonnais vont se précipiter dans cette boutique éphémère pour acheter des robes à 8,99 euros et des T-shirts à 4,99 euros. Des prix ultra-bas qui cartonnent chez les 13-18 ans. "Avec ces prix-là, les jeunes peuvent refaire quatre fois leur garde-robe par an rien qu’avec leur argent de poche", se désole auprès de Novethic Marie Nugyen, co-fondatrice de We Dress Fair, une marketplace de marques de vêtements responsables. 

Si la spécialiste de la mode durable est si inquiète de l’arrivée de Shein dans les centres-villes, c’est que son impact social et environnemental a été maintes fois pointé du doigt. En quelques années seulement, Shein a devancé de très loin ses concurrents H&M et Inditex (maison-mère de Zara), symboles de la fast-fashion. Même les sites de e-commerce Asos et BooHoo, pionniers de l’ultra-fast fashion ont été ringardisés. Le spécialiste de la tech, Matthew Brennan affirme que Shein a développé un nouveau segment de l’industrie textile : la "real-fast fashion". Il peut ainsi créer de nouvelles collections avec très peu de références en quelques instants, réduisant de trois semaines à trois jours le temps entre la conception et la production. 

"Il faut arrêter cette machine infernale" 

Mais derrière cette machine bien huilée, les ONG ne cessent de publier des enquêtes sur des pratiques peu reluisantes. En octobre 2021, l’ONG Public Eye révélait les conditions désastreuses des usines dans lesquelles les vêtements Shein étaient fabriqués : cadence infernale, ouvrières sous-payées, fenêtres condamnées, absences d’issues de secours. En décembre dernier, Greenpeace avait accusé Shein de vendre des habits contenant des substances chimiques dangereuses, enfreignant la réglementation européenne. L’ONG révélait notamment la présence de phtalate sur une paire de botte à un niveau 685 fois supérieur à la réglementation. 

"C’est normal qu’il y ait de la concurrence mais là, c’est de la concurrence déloyale", tranche Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce. "Il faut arrêter cette machine infernale ! Shein est désormais le troisième site d'habillement le plus consulté en France derrière Vinted et Veepee. Il ne cesse d’accroître sa domination au mépris des règles sociales et de la protection des consommateurs", affirme-t-il à Novethic. Alors que les enseignes traditionnelles françaises comme San Marina, André, Pimkie, Camaïeu ou Go Sport subissent une véritable hécatombe, baissant les rideaux de leurs magasins, l’arrivée physique de Shein dans les centres-villes a du mal à passer. 

"Les pouvoirs publics doivent faire leur job de régulateur. Il est temps d’agir !", interpelle Yohann Petiot. En ce sens, il est soutenu par l’expert en retail Jérôme Monange. "Si ça ne tenait qu’à mois, j’interdirais une marque comme ça en France", tranche-t-il. Tous ont en tête le cas de la plateforme de e-commerce Wish. En 2020, le site était le 8ème site marchand le plus fréquenté en France. Deux ans après, il a disparu du marché après une décision de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). Parmi les motifs de son interdiction, la présence de produits dangereux. 62% des bijoux fantaisies, 45% des jouets et 90% des appareils électriques analysés avaient ainsi été jugés dangereux. 

Shein s'achète "une vitrine de respectabilité" 

Il suffit de jeter un coup d’œil au site internet de Shein pour comprendre que l’entreprise veut redorer son image. La marque multiplie les communiqués de presse sur sa conformité avec les lois "y compris celles interdisant le recours au travail forcé" dans sa chaine d’approvisionnement, sur le salaire des travailleurs dans les usines de ses fournisseurs et sur la mode circulaire et les déchets textiles. Le groupe vient d’ailleurs de lancer la plateforme de seconde main Exchange aux États-Unis. Pas étonnant non plus que Shein ait envoyé un de ses émissaires à Davos lors du Forum économique mondial. L’ouverture de commerce en physique s’inscrit dans cette stratégie de changement d’image. "Ces magasins, c’est une vitrine de respectabilité que Shein s’achète", analyse Jérôme Monange. Car le groupe voit loin. 

Selon l’agence Reuters, il devrait bientôt lever deux milliards de dollars cette année avec comme investisseur majeur le fonds souverain des Émirats arabes unis Mubadala, la société de capital-investissement General Atlantic et le groupe de capital-risques Sequoia Capital China. Toujours selon l’agence de référence, Shein serait en train de préparer son introduction en bourse pour le second semestre 2023. Malgré une baisse d’un tiers de sa valorisation, désormais établie à 64 milliards d’euros, son introduction serait l’une des plus importantes de l’année. 

Marina Fabre Soundron


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