Stupeur dans l’industrie automobile allemande. Bosch, le célèbre équipementier, a annoncé fin septembre des suppressions de postes massives dans ses usines. “Nous devons travailler de manière urgente sur notre compétitivité dans notre activité “Mobilité” et continuer de réduire nos coûts en permanence. Nous utilisons plusieurs leviers pour cela. Malheureusement, nous ne pourrons pas éviter des réductions de postes en plus de celles déjà annoncées“, déclare Stefan Grosch, le directeur des relations industrielles du groupe. Celui-ci entend réaliser jusqu’à 2,5 milliards d’euros d’économies. Aux 12 500 suppressions de postes déjà annoncées l’année dernière, Bosch prévoit d’en ajouter 13 000 d’ici 2030.
Et ce n’est pas le seul équipementier à vouloir tailler dans les coûts. ZF a annoncé 7 600 suppressions de postes juste une semaine après son compatriote, après en avoir déjà annoncé 14 000 l’année dernière. Côté constructeurs, ce sont même 35 000 postes d’ici 2030 qui devraient disparaître chez Volkswagen, négociés âprement avec les organisations syndicales en décembre dernier. Selon IG Metall, plus de 50 000 postes ont été supprimés ces douze derniers mois en Allemagne. En France, Stellantis se contente pour l’instant de mettre en pause plusieurs de ses usines afin d’adapter sa production aux difficiles conditions de marché.
Marché en berne
La faiblesse des ventes de voitures neuves explique en effet en grande partie ces annonces en série. Le marché européen a baissé de 1,9% sur le premier semestre de l’année. En France, la chute est encore plus prononcée avec 6,3% de ventes en moins sur les neuf premiers mois. Les véhicules électriques ne décollent pas non plus suffisamment aux yeux de l’ACEA, l’Association des constructeurs européens d’automobile. Leur part de marché n’atteignait cet été que 15,8%, au lieu des plus de 20% nécessaires pour s’aligner à la réglementation européenne.
Mais ce retournement du marché est en partie dû à la stratégie adoptée ces dernières années par les constructeurs qui se positionnent sur des véhicules premium à plus forte marge. “La montée en gamme significative sur les véhicules thermiques et électriques, avec des véhicules plus lourds et plus chers, montre ses limites, analyse Madeleine Péron, responsable du programme transition écologique et sociale à l’Institut Veblen. Il y a de meilleures marges, mais une fois que vous avez épuisé votre cible solvable, y compris en leasing, le marché ne fonctionne plus.” Les constructeurs, pourtant, continuent d’y croire. Le WWF estime, dans une étude d’octobre 2025, que 65% des publicités automobiles étaient consacrées aux SUV en 2024, ces 4×4 urbains décriés pour leur empreinte écologique, contre 42% en 2019.
D’autant que l’amélioration de la rentabilité de l’industrie enregistrée ces dernières années n’a pas suffisamment servi à anticiper une transition plus juste et plus durable. “Il est vrai que les études montrent que le véhicule électrique nécessite moins de main d’œuvre, ajoute l’économiste. Mais cela n’empêche pas d’anticiper. Or, les fortes marges ne se sont pas traduites en investissements en Europe, mais plutôt en dividendes.” Une analyse qui fait écho à la colère du syndicat allemand IG Metall, pris de court par les annonces de Bosch. “Le plan de transformation de l’entreprise cache souvent des plans de délocalisation sévères pour développer et produire dans des pays à bas coût“, remarque dans un communiqué Adrian Hermes, représentant du syndicat de l’entreprise.
Revenir à des petits véhicules
La construction d’une filière de production de batteries pour véhicules électriques en Europe peine par ailleurs à se mettre en place. “Il y a très peu de soutien politique, remarque Bastien Gebel, responsable décarbonation de l’industrie automobile de Transport et Environnement. Nous appelons à des aides à la production du type de l’Inflation reduction act aux Etats-Unis, avec une subvention pour chaque batterie qui sort d’usine.”
Mais c’est aussi sur le type de véhicules vendus en Europe qu’il faudrait revenir. RAPPORT WWF L’ONG plaide pour “de plus petits véhicules de segments A et B (voitures urbaines, ndlr), produits en France avec des critères de contenus produits en France. C’étaient les voitures les plus vendues il y a quelques années“, rappelle Bastien Gebel. Des modèles plus sobres, destinés aux personnes ayant besoin de mobilité décarbonée, sans accès aux transports en commun, mais qui doivent faire des trajets contraints hors centres urbains. La Commission européenne, sous la pression de Renault et Stellantis, a ouvert un chantier “pour les petits véhicules abordables”. Celui-ci pourrait se traduire par un allègement de la réglementation pesant sur ces petites voitures urbaines, afin de leur permettre de descendre sous les 15 000 euros.
“Cela peut être utile, mais ça n’arrivera pas avant dix ou quinze ans, or il y a urgence“, rappelle Madeleine Péron de l’Institut Veblen. L’économiste propose dans une note publiée en septembre dernier, de se reposer sur la commande publique, pour amorcer la pompe, en mettant des critères de taille des véhicules, de capacité de batterie ou encore de recyclabilité des matériaux dans les achats publics. Et pour un effet démultiplicateur, elle propose de créer une plateforme européenne d’achats publics, à laquelle les entreprises renouvelant leurs flottes de voitures pourraient s’associer, afin de “structurer un marché porteur pour les véhicules les plus sobres, tout en sécurisant les volumes nécessaires pour enclencher une dynamique industrielle durable“.