Publié le 23 septembre 2025

La Commission européenne envisage un nouveau report d’un an de la loi anti-déforestation en raison de failles techniques. Argument justifié ou prétexte ? Le doute est permis alors que les Etats-Unis ou l’Indonésie, deux pays qui viennent de signer des accords commerciaux avec l’UE, sont farouchement opposés au texte.

La Commission européenne a proposé mardi 23 septembre un nouveau report d’un an de la loi anti-déforestation, de fin 2025 à fin 2026. La commissaire européenne chargée de l’environnement, Jessika Roswall, a expliqué devant la presse que l’Union européenne (UE) avait besoin de temps pour que la loi soit opérationnelle, en particulier le “système informatique” de surveillance des forêts. En 2024, l’UE avait déjà reporté d’un an l’entrée en vigueur de cette loi qui vise à interdire la commercialisation en Europe de produits comme l’huile de palme, le cacao, le café, le soja, ou le bois provenant de terres déboisées après décembre 2020. Les organisations environnementales avaient alors fustigé un “coup de tronçonneuse” dans les forêts.

Si pour l’instant, aucune proposition législative n’a été mise sur la table, la justification apportée par la commissaire européenne est plus que troublante. “Soit l’argument technique utilisé par la Commission est justifié et dans ce cas essayons de comprendre la nature du problème. Est-on vraiment obligés de reporter d’un an ? N’y a-t-il pas d’autres pistes ?”, s’interroge lors d’un brief presse Pascal Canfin, eurodéputé Renew. “Soit l’argument est un prétexte, je pense alors qu’il est lié à l’accord commercial passé avec les Etats-Unis fin juillet, et qu’il s’agit dans ce cas d’un abandon de la souveraineté européenne. Dans les deux cas c’est lamentable”, juge-t-il.

Cela va finir par être compliqué de dissimuler toutes les concessions faites aux lobbies industriels. Prétexter un report pour cause de “problèmes informatiques” : du jamais vu, et une injure faite à l’ensemble des démocrates. Ursula von der Leyen se moque littéralement du monde, s’insurge également Marie Toussaint eurodéputée Les Verts. L’annonce tombe le jour même où l’Union signe un accord de libre-échange avec l’Indonésie, grand exportateur d’huile de palme, qui n’a cessé de tirer à boulets rouges sur la législation ! Quelle image donnons-nous au monde ? Après avoir baissé la tête face à Donald Trump, Ursula von der Leyen est-elle prête à brader le modèle européen aux pressions de tous ceux qui conspuent l’écologie ?”, lance-t-elle.

Levée de boucliers

La réglementation anti-déforestation avait provoqué une levée de boucliers des milieux d’affaires de l’agrobusiness et de nombreux Etats africains, asiatiques et américains, inquiets des coûts supplémentaires engendrés pour les agriculteurs, éleveurs et exploitants forestiers. En outre, l’annonce de la Commission suit de quelques heures la conclusion d’un accord de libre-échange avec l’Indonésie. Le pays, premier exportateur mondial d’huile de palme, est particulièrement critique envers cette législation européenne. Plusieurs pays européens poussaient aussi pour réviser ce texte ou reporter son entrée en vigueur, dont l’Italie et l’Autriche, critiquant les “exigences imposées aux agriculteurs et sylviculteurs élevées voire impossibles à mettre en œuvre”.

Début juillet, 18 pays de l’Union européenne (sans la France, l’Allemagne et l’Espagne) avaient ainsi adressé un courrier à la Commission pour demander des modifications, arguant que certains de leurs producteurs ne peuvent pas être tenus de respecter ses conditions et sont confrontés à un désavantage concurrentiel. Le géant agroalimentaire Mondelez avait lui aussi demandé un report de la loi avertissant que l’industrie du chocolat est déjà aux prises avec des prix du cacao record et des chocs d’approvisionnement. Une posture qui contraste avec les autres acteurs du secteur, à l’instar de Danone, Nestlé et Ferrero, qui appellent les instances européennes à garder le cap sur le règlement et maintenir son calendrier d’application. “Nous n’avons plus de retour négatif de la part des entreprises, confirme Pascal Canfin. Tout retard excessif signifierait une perte d’investissements pour les entreprises à qui nous avons demandé de jouer le jeu dès le départ – et qui l’ont fait.” 

“Open bar au détricotage”

“Le principal risque, ce n’est pas ce report, c’est que pour qu’il soit acté, l’ensemble du texte repasse devant le Parlement. La Commissaire à l’environnement vient en fait d’ouvrir la boîte de Pandore. Ça va être open bar pour les amendements de détricotage portés par la droite et l’extrême droite”, réagit sur Linkedin Klervi Le Guenic, chargée de campagnes chez Canopée. En juillet, le PPE (Parti populaire européen) avait réussi à faire adopter une motion visant à créer une nouvelle catégorie de pays “sans risque”.

Avec cette nouvelle catégorie, les pays seraient exemptés de l’obligation de fournir des données de géolocalisation permettant de connaître l’origine des produits. Les autorités ne seraient pas non plus tenues d’effectuer un nombre minimal de contrôles pour détecter les marchandises illégales ou entachées de déforestation. Les partisans du texte veulent ainsi sortir les pays de l’Union européenne car ils considèrent qu’ils ne présentent pas de risque.

La décision de la Commission est scandaleuse : pendant que l’Union européenne tergiverse, les forêts du monde continuent de brûler, entraînant l’extinction d’espèces, une accélération du dérèglement climatique et des violations des droits humains. La Commission a montré au monde entier qu’elle est l’otage des industries et de leurs alliés politiques, qui sont déterminés à tirer le maximum de profit de la destruction de la nature”, réagit Andrea Carta, juriste de Greenpeace Europe.

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