Nouveau coup dur pour le secteur de l’habillement français. Le 30 avril dernier, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de Jennyfer. L’enseigne, dont les vêtements pop et colorés ont marqué l’adolescence de nombreux milléniaux, avait déjà connu deux plans de sauvegardes de l’emploi au sortir de la crise sanitaire. Au total, 75 postes avaient été supprimés entre en 2021 et 2023. Placée en redressement judiciaire quelques mois plus tard, la marque n’aura finalement pas réussi à redresser la barre. Ses activités prendront fin le 28 mai prochain, date à laquelle les offres d’éventuels repreneurs seront examinées.
Lancée en 1984, Jennyfer compte aujourd’hui environ 200 magasins en France et 40 à l’étranger, pour un chiffre d’affaires s’élevant à 250 millions d’euros. “Cette annonce violente et brutale plonge les salariés dans une situation très précaire”, écrit la CGT dans un communiqué. Pour les 1 000 employées concernées, principalement des femmes, le constat est amer. “Le patronat réinvestit les bénéfices de l’entreprise dans les poches des actionnaires et ne réinvestit pas dans le développement des magasins (stocks, travaux etc.)”, accuse notamment Elodie Ferrier, secrétaire fédérale à la CGT Commerces, interrogée par France Info.
Mutation du secteur
De son côté, la direction de l’enseigne pointe à l’AFP “l’explosion des coûts, la baisse du pouvoir d’achat, les mutations du marché textile et une concurrence internationale toujours plus agressive”. Elle n’est d’ailleurs pas la première à se retrouver en difficulté économique, certains acteurs allant parfois jusqu’à devoir baisser le rideau. Pimkie, Kookaï, André, San Marina et encore récemment Naf Naf… La chute de Jennyfer s’inscrit dans une véritable crise de l’habillement français, amorcée en 2022 par la liquidation judiciaire de Camaïeu et le licenciement de plus de 2 000 salariées. Un mouvement provoqué par une profonde mutation de l’industrie de la mode.
“Limiter cela à une crise du milieu de gamme, c’était une erreur de diagnostic. Il s’agit d’une transformation du secteur qui se déroule depuis le milieu des années 2010 au travers de plusieurs phénomènes”, explique à Novethic Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut de la mode française (IFM). Pour mieux comprendre, revenons un peu en arrière. “Dans les années 90-2000, les Camaïeu, Jennyfer, Pimkie… ont pris des parts de marché aux commerces de détail multimarques en proposant des prix plus accessibles“, note le spécialiste. Dès lors, les acteurs et les magasins se multiplient au point de saturer l’offre.
Résultat, une “correction du marché” s’opère, amplifiée par l’essor du e-commerce et le contexte économique. “L’habillement est mécaniquement touché lors des crises, car c’est le premier budget ajusté par les ménages”, constate auprès de Novethic Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du prêt-à-porter féminin. La baisse du pouvoir d’achat renforce par ailleurs l’importance portée par les consommateurs au facteur “prix”. Cette tendance s’illustre particulièrement au travers de la montée en puissance de la seconde main. D’après le baromètre de la consommation publié par l’IFM, Vinted est en effet devenu début 2025 la première enseigne de France en termes de volume de ventes dans la mode. “Le marché de l’occasion prend des parts de marché aux marques, mais il change aussi la perception du prix légitime d’un vêtement”, estime Gildas Minvielle.
Douze potentiels repreneurs
Une perte de repères accentuée par le développement fulgurant de Shein et Temu. “Les écarts de prix entre les segments se sont accrus, ce qui n’était pas autant le cas auparavant. Le milieu de gamme peut être aujourd’hui trois fois plus cher que l’ultra fast fashion”, détaille l’expert. Et le prix n’est pas le seul levier utilisé par ces plateformes. A titre de comparaison, Jennyfer affiche 642 références sur son site internet, tandis que Shein en offre 470 000, rappelle sur LinkedIn Auriane Delecour, cheffe de produit pour la marque Afibel et ancienne de Camaïeu.
Impossible, alors, pour les enseignes traditionnelles de se transformer assez rapidement face au modèle imposé par les géants du e-commerce chinois, aux dépens de l’environnement et des droits humains. “Chez Jennyfer, il y a des équipes de stylistes, des vendeuses, des impôts qui sont payés. En commercialisant des contrefaçons, en exploitant les travailleurs et en bénéficiant de failles fiscales, Shein et Temu créent une concurrence déloyale qui empêche tout alignement. C’est un rouleau compresseur”, résume Yann Rivoallan. Alors comment sortir de l’impasse ? Pour se différencier, certaines enseignes soignent leur image et se “premiumisent”, à l’instar de Zara qui fête ses 50 ans cette année.
Mais “la marge de manœuvre est plus difficile que par le passé”, concède Gildas Minvielle. S’il est nécessaire de “reconquérir le consommateur avec davantage de qualité”, estime-t-il, il faut également que celui-ci “accepte des prix plus élevés pour les vêtements”. Sinon, “des pans entiers de notre économie vont se retrouver exposés à des difficultés. C’est un mauvais calcul.” En deux ans, 13 000 emplois ont été détruits dans le secteur de la mode en France. Pour épargner ce triste sort aux salariées de Jennyfer, douze potentiels repreneurs se seraient manifestés le 13 mai dernier, dont le groupe Beaumanoir, notamment propriétaire de Cache-Cache et Bonobo, Pimkie ou encore Celio. Il faudra attendre la fin du mois pour connaître l’issue de cette nouvelle chute.