La voiture électrique n’aurait plus la cote ? Depuis plusieurs mois, les voix des constructeurs automobiles et des Etats membres s’élèvent contre les objectifs de la Commission européenne pour électrifier le parc automobile. Entre les normes de réduction des émissions de gaz à effet de serre prévues cette année, assorties de potentielles amendes, et la fin prévue du moteur thermique pour 2035, les industriels se déclarent en risque de perte de compétitivité. A tel point que la Commission européenne a organisé un Dialogue stratégique sur l’avenir de l’industrie automobile, avec un plan d’action prévu pour le 5 mars. “L’industrie automobile européenne se trouve à un moment charnière et nous sommes conscients des défis qu’elle doit relever. C’est pourquoi nous agissons rapidement pour les relever“, a déclaré Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission.
Au cœur de ces inquiétudes pour la filière se trouve l’appétence des Européens pour le véhicule électrique. “Le seul moyen pour réussir cette transition consiste à en faire une transformation menée par le marché et la demande“, assure ainsi Ola Källenius, directeur général de Mercedes-Benz et président de l’ACEA, l’Association européenne des constructeurs automobiles. Les chiffres de ventes de voitures électriques ont baissé de près de 6% en 2024, selon l’ACEA, la part de marché de l’électrique n’atteignant que 13,6% du marché total quand elle doit s’établir au-delà de 20% pour que les constructeurs atteignent leurs objectifs d’émissions.
Pas de repli des ventes
“Mais même s’il y a une stagnation des ventes, il n’y a pas réellement de repli à la tendance des véhicules électriques. En France, il y a une baisse, mais pas de chute“, nuance Marie Chéron, responsable des Politiques véhicules chez Transport et environnement. La chute du marché allemand, consécutive à l’arrêt des aides à l’achat début 2024, et la stagnation sur le marché français ont certes arrêté la croissance des ventes. Mais celles-ci devraient repartir à la hausse en 2025 avec l’arrivée de plusieurs modèles de voitures électriques à prix plus abordable, sous les 25 000 euros. “Une confusion a été faite entre ce ralentissement des ventes et les déçus de l’électrique. Mais en réalité les utilisateurs de voitures électriques sont très largement satisfaits, avec un taux de satisfaction de 93% dans notre dernière enquête d’avril 2024“, explique Clément Molizon, le délégué général d’Avere France, l’Association pour le développement de la mobilité électrique.
La croisade contre les véhicules électriques aura-t-elle raison de la transition ?
Les discours sur les difficultés des constructeurs à atteindre leurs objectifs ou encore sur l’obligation de passer à l’électrique à marche forcée ont en fait tendance à nourrir les idées reçues et freiner la transition. Une étude de janvier 2025 menée par CSA Research pour la Plateforme automobile (PFA) classe ainsi les automobilistes en fonction de leur perception de l’électrique : la majorité se retrouve parmi les “électro-sceptiques” (37%), suivis des “électro-prudents” (25%), les “électro-enthousiastes” n’arrivant qu’en troisième (16%). “On voit qu’il y a toujours une peur de la panne, de la technologie des batteries, de la durée de vie des batteries qui persiste, remarque Marie Chéron. Les Français ont besoin d’être mieux informés. Les controverses régulières des constructeurs sur l’état du marché n’aident pas.”
Pourtant, alors que d’un côté ils pourfendent la complexité du passage à l’électrique, les constructeurs assurent de l’autre que les freins technologiques ont été levés. Plus rien ne devrait donc empêcher l’acceptabilité du véhicule électrique par les automobilistes. Interrogé lors d’une table-ronde de la PFA en janvier, Gilles Le Borgne, conseiller du directeur général de Renault et ancien responsable de l’ingénierie de la marque, revenait ainsi sur les idées reçues. La plus persistante concerne les émissions des voitures électriques. “Nous avons fait des travaux au sein de la PFA qui montrent que sur l’ensemble du cycle de vie d’un véhicule, l’électrique est la meilleurs solution“, tranche-t-il, soulignant que c’est particulièrement le cas en France étant donné le mix énergétique décarboné.
Le lent décollage de l’occasion
La durée de vie des batteries inquiète aussi les automobilistes, étant donné leur coût. Un fantasme, pour Gilles Le Borgne qui s’appuie sur le retour d’expérience de la Renault Zoé, lancée en 2013. “On atteint 80% du maintien de la capacité de la batterie jusqu’à 160 000 kilomètres, il n’y a donc pas de problème, assure-t-il. Et aujourd’hui, les nouvelles technologies de batteries améliorent la situation.”
Reste le prix d’achat, toujours élevé. “Le marché de l’occasion est très important pour cela, six Français sur sept achètent leur véhicule d’occasion“, rappelle ainsi Clément Molizon. Celui commence à peine à décoller, avec plus de 136 000 voitures électriques d’occasion vendues en 2024, en progression de 54% par rapport à 2023. “C’est là que l’on verra la véritable démocratisation de l’électrique“, veut croire le responsable d’Avere France.
Un levier doit cependant encore être actionné pour y parvenir, celui de l’électrification des flottes d’entreprises qui traditionnellement achètent des véhicules neufs et les revendent rapidement d’occasion. La loi d’orientation sur les mobilités de 2019 impose aux entreprises un pourcentage minimum d’achat de voitures électriques, qui n’est pas respecté selon Transport et Environnement. Un amendement au projet de loi de finances pour 2025 prévoit cependant d’imposer des amendes aux entreprises en retard. De quoi peut-être dynamiser enfin le marché de l’occasion et redorer le blason de l’électrique. Tout autant d’arguments qui ne sont pour l’instant pas repris ni par les constructeurs automobiles ni par les pouvoirs publics pour réellement donner sa chance à l’électrique.