Rarement un texte n’aura suscité autant de débats à la chambre haute. À l’issue de dix heures d’échanges houleux entre la gauche et la droite, la proposition de loi des sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (Union centriste) a été adoptée dans la nuit du 28 janvier. Ce texte, qui vise à “lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur”, se présente comme complémentaire du projet de loi d’orientation agricole porté par l’exécutif, et qui doit être examiné par cette même assemblée le 4 février.
Le Sénat a adopté le texte de Laurent Duplomb et @F_Menonville visant à “lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur”. Le texte réintroduit l’usage de néonicotinoïdes sous certaines conditions, ou encore assouplit les contraintes sur la construction d’élevages. pic.twitter.com/epkfIcRkCA
— Public Sénat (@publicsenat) January 27, 2025
Comme prévu, ce texte n’a rencontré aucun obstacle dans son adoption par la chambre haute, majoritairement à droite, avec 233 voix contre 109, malgré la tentative de la gauche de faire reconnaître une exception d’irrecevabilité, rejetée en début de séance.
Le retour des néonicotinoïdes en France
Parmi les contraintes levées, les élus du Palais Bourbon ont notamment voté pour la réintroduction dérogatoire de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Interdit en France depuis 2018, mais autorisé ailleurs en Europe jusqu’en 2033, sa réintroduction est supposée soulager les filières de la culture de la betterave ou encore de la noisette. Pour justifier son retour sur le sol national, le sénateur Franck Menonville affirme que “cette substance, autorisée dans toute l’Europe, a franchi toutes les évaluations de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments, ndlr). L’Europe n’est pas irresponsable ; une matière n’est autorisée que si elle répond à des critères scientifiques, sanitaires et environnementaux objectifs”.
Au cours de la soirée, un amendement de compromis a finalement été proposé, remportant le soutien de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, qui avait plus tôt alerté sur le risque d’inconstitutionnalité d’une réintroduction pure et simple de ce pesticide. L’acétamipride pourrait ainsi être à nouveau autorisé par décret, à titre “dérogatoire”, “exceptionnel” et pour une durée limitée, sous certaines conditions, notamment l’engagement de la filière dans “un plan de recherche d’alternatives”.
“Un retour en arrière”, “un non-sens historique”
Les Jeunes Agriculteurs et la FNSEA, les deux principaux syndicats agricoles, ont salué dans un communiqué une “proposition de loi ambitieuse”, qui doit “apporter des réponses concrètes” à une filière en crise. La Confédération paysanne, troisième syndicat en France, s’est de son côté opposée à ce texte, tout comme un grand nombre d’associations environnementales. Dans un communiqué, Greenpeace a dénoncé “une attaque contre l’environnement et l’avenir de l’agriculture”. La gauche du Sénat s’est également levée contre ce qu’elle juge être “un retour en arrière de plus de dix ans” pour l’environnement et la santé des Français. “Réautoriser les néonicotinoïdes en 2025 est un non-sens historique qui frôle l’obscurantisme”, a fustigé à la tribune le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot.
A noter que d’autres compromis ont également été pris sur d’autres mesures sensibles, comme l’assouplissement de la séparation entre vente et conseil pour les produits phytosanitaires, ou encore l’épandage par drone. Mais rien n’est encore joué, car les chances de survie de cette mesure dans la navette parlementaire à venir dépendront du vote des députés macronistes. D’ailleurs, le travail du Sénat sur les textes agricoles ne fait que commencer. À partir du 4 février, la Haute Assemblée s’attaquera au projet de loi d’orientation agricole. Adopté par l’Assemblée nationale au printemps, ce texte avait finalement été suspendu et repoussé par la dissolution, puis la censure du gouvernement de Michel Barnier. Le chemin parlementaire sur les mesures agricoles promet d’être encore long et chaotique.