Après TotalEnergies et Shell, c’est au tour du Britannique BP de revenir sur ses engagements climatiques. Selon des informations révélées par Reuters, lundi 7 octobre, l’entreprise a abandonné son objectif de réduction de la production de pétrole et de gaz d’ici 2030 et revu à la baisse sa stratégie de transition énergétique vers les énergies renouvelables “afin de regagner la confiance des investisseurs” et “combler un écart de valorisation avec ses rivaux dans le secteur de l’énergie”, ont déclaré trois sources au fait du dossier. BP avait pourtant la stratégie la plus ambitieuse du secteur en 2020 avec l’engagement de réduire la production de pétrole et gaz de 40% tout en développant rapidement les énergies renouvelables d’ici 2030.
Mais la crise énergétique de 2022 et la guerre en Ukraine ont changé la donne. Dès février 2023, BP avait ramené son objectif de réduction des fossiles à 25%. Celui-ci serait aujourd’hui totalement supprimé. “Si BP fait le choix du profit au détriment de la planète, en pensant à ses investisseurs, ces derniers doivent empêcher la stratégie destructrice de BP et adopter une vision à plus long-terme, a réagi Agathe Masson, chargée de campagne Investissements soutenables à Reclaim Finance. Les investisseurs doivent notamment sanctionner les dirigeants de l’entreprise en votant contre la réélection des administrateurs à l’assemblée générale et refuser de fournir de nouveaux investissements à BP, tant que sa stratégie ira à contre-courant de la science climatique“.
Accélérer dans les énergies fossiles
Selon une analyse de l’ONG, mise à jour en avril dernier, la stratégie d’investissements de l’entreprise britannique continue de reposer massivement sur le pétrole et le gaz. En 2023, 14,6 milliards de dollars ont ainsi été investis dans l’exploration et production de pétrole et de gaz et plus de 13 milliards ont été distribués aux actionnaires, contre seulement 1,3 milliard investi dans sa branche “low carbon energy” qui inclut les énergies soutenables mais également les centrales à gaz. Entre 2024 et 2030, BP prévoit d’investir 9,3 milliards de dollars par an dans le pétrole et le gaz, soit 2,3 fois plus que dans la branche bas carbone. Et ça, c’était avant le nouveau recul de BP.
Car la major pétrolière britannique entend accélérer dans les énergies fossiles. Elle oriente désormais ses efforts vers de nouveaux investissements au Moyen-Orient et dans le golfe du Mexique, afin d’augmenter sa production de pétrole et de gaz, ont indiqué des sources à Reuters. En parallèle, BP a vendu ses dix parcs éoliens terrestres américains le mois dernier et s’est retiré du marché. Une stratégie qui devrait ravir certains actionnaires à l’instar de Bluebell Capital. L’actionnaire activiste britannique avait écrit au dirigeant de BP il y a un an pour lui demander d’abandonner son objectif de baisse de la production de pétrole et gaz afin de maximiser la valeur actionnariale. A contrario, certains investisseurs appellent à accélérer dans la transition. En 2023, une résolution déposée par Follow This, demandant l’alignement de la stratégie de BP avec les objectifs de l’Accord de Paris, avait été soutenue par 17% des actionnaires. En 2022, les actionnaires avaient par ailleurs majoritairement (89%) soutenu le Say on climate de BP, remis en cause deux ans plus tard.
“TotalEnergies à des années-lumière d’une stratégie de transition”
Il y a quelques jours, TotalEnergies avait lui aussi annoncé une croissance de la production d’hydrocarbures supérieure à 3% sur les deux prochaines années 2025 et 2026, et de 3% par an d’ici à 2030, alors qu’elle visait auparavant une hausse de 2 à 3% par an. “Contrairement à ce qu’affirme l’entreprise, TotalEnergies est à des années-lumière d’une stratégie de transition. Malgré l’accélération du réchauffement planétaire, les cris d’alarme de la communauté scientifique et des communautés impactées par ses projets, elle met un nouveau coup d’accélérateur à la production de pétrole et de gaz”, a déploré Antoine Bouhey, coordinateur de la campagne Defund TotalEnergies à Reclaim Finance.
Shell fait également partie des énergéticiens à revenir en arrière sur le développement des énergies renouvelables et la réduction des énergies fossiles. La major a abandonné son objectif de réduction des émissions de 45% à 2035, tout en affirmant vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Shell a également revu à la baisse sa stratégie de transition énergétique en vendant des activités d’énergies renouvelables et en abandonnant des projets tels que l’éolien offshore, les biocarburants et l’hydrogène. Une stratégie dénoncée par certains investisseurs lors de la dernière AG du pétrolier. Ils ont ainsi été 19% à voter en faveur d’un meilleur alignement des objectifs de l’entreprise avec l’Accord de Paris. Et 22% à rejeter la stratégie climatique du groupe.
Ces reculs sont très inquiétants. D’autant que les pétroliers européens étaient les moins mauvais élèves du secteur, selon un rapport de Carbon Tracker publié en mars dernier. Le GIEC estime que pour avoir une chance de contenir le réchauffement à 1,5°C d’ici la fin du siècle, les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser de 43% en 2030 par rapport à 2019. Or, la production d’énergies fossiles est l’une des plus émettrices de CO2. Pour tenir les engagements de l’Accord de Paris, il est donc crucial d’inverser la tendance. A ce jour, aucune des entreprises pétro-gazières n’est alignée sur un scénario 1,5°C. Au contraire, elles aggravent encore la situation en revenant en arrière sur leurs engagements climatiques.