Publié le 12 août 2024

Alors que les manifestations contre le surtourisme se multiplient en Espagne, le pays pourrait être contraint de tourner la page de son modèle “sol y playa”. Canicules, nuits torrides, plages sans sable, méduses…les effet du changement climatique vont rebuter les touristes, qui commencent déjà à se tourner vers les régions du nord du pays, plus fraîches.

“Avant ici, c’était ma maison”, “ça pue le touriste”, “rentre chez toi”… Voici quelques-uns des slogans qui fleurissent dans les hauts-lieux du tourisme “sol y playa” (soleil et plage) espagnol, depuis Malaga en Andalousie jusqu’à Barcelone, en Catalogne, en passant par les îles Baléares ou les Canaries. Des mouvements hostiles au tourisme de masse prospèrent aux quatre coins de la péninsule ibérique, deuxième destination mondiale, avec 85 millions de touristes internationaux en 2023, année record, et près de 41 millions de touristes internationaux attendus cet été, battant un nouveau record. Les Espagnols dénoncent la pression immobilière, la multiplication des locations touristiques qui ont fait fuir un certain nombre d’entre eux hors des centres-villes ou des lieux les plus prisés, et la disparition des commerces de proximité. Ils déplorent aussi les embouteillages et les nuisances sonores et environnementales.

A cela s’ajoutent depuis quelques années des restrictions dans l’usage de l’eau. Plusieurs régions, comme la Catalogne, sont ainsi confrontées à une sécheresse historique et ont été placées en état d’urgence. Or le secteur touristique est particulièrement gourmand en eau. Selon des données de 2016, les Barcelonais consomment en moyenne trois fois moins d’eau que les hôtels cinq étoiles. “Il y a des destinations touristiques qui sont à la limite de leur capacité”, reconnaît José Luis Zoreda, vice-président de l’organisation patronale Exceltur, cité par l’AFP. Le porte-parole du collectif “Canarias se agota” (Les Canaries s’épuisent) évoque quant à lui “un développement suicide”, alors que les îles ont reçu, l’an dernier, 16 millions de visiteurs, soit sept fois plus que ses 2,2 millions d’habitants.

Un modèle voué à disparaître ?

Le modèle “sol y playa”, développé depuis les années 50, qui pèse aujourd’hui près de 13% du PIB et de l’emploi en Espagne, est-il dès lors voué à disparaître ? “Non, car il est extrêmement important pour l’économie espagnole, en pleine expansion”, répond à Novethic Jorge Olcina, professeur de géographie à l’Université d’Alicante et expert de la relation entre tourisme et changement climatique. “Aucune mesure de confinement ni limite n’est proposée pour cette croissance. L’objectif est de dépasser les niveaux d’avant la pandémie. Et dans le secteur de la construction, de retrouver les niveaux d’avant la crise de 2008. Or, il faut rappeler que 70 % des nouvelles constructions de logements en Espagne sont destinées à un usage touristique”, explique-t-il.

Sauf que le pays pourrait bien être contraint de revoir son modèle tant apprécié des touristes à la recherche de soleil garanti, de plages de sable blanc et de prix bas. “Les effets du changement climatique sont déjà visibles“, constate Jorge Olcina. “Le climat en Espagne est déjà moins confortable, avec des journées de haute température en été et des nuits très chaudes. De même, les précipitations sont de plus en plus irrégulières avec des périodes de sécheresse et des épisodes météorologiques extrêmes“, poursuit-il.

Des phénomènes qui entraînent une régression des plages. Celles de la région de Barcelone ont ainsi commencé l’été avec 20% de superficie en moins. Et le gouvernement a déjà prévenu qu’à long terme, il ne sera pas possible de remplacer le sable dans toutes les communes qui le demandent. En outre, la hausse de la température augmente la probabilité d’arrivée de méduses en mer et l’expansion de parasites et d’insectes comme le moustique tigre. De quoi alimenter l’effet repoussoir.

Les destinations du Nord dopées par le changement climatique

Une étude publiée en 2023 par la European travel commission montrait déjà une baisse de 10% de la fréquence touristique en Méditerranée, par rapport à 2022, en raison du changement climatique. Mais l’Espagne serait l’un des pays les plus touchés, selon un rapport publié par la Commission européenne en juillet 2023. D’après ses estimations, dans un scénario de réchauffement à 3°C, la demande touristique pourrait encore baisser de près de 10% et de plus de 15% dans un scénario à 4°C. D’autres données, divulguées par CaixaBank Research en janvier 2024, montrent qu’entre 2019 et 2023, année record de chaleur, les dépenses touristiques ont le plus augmenté dans les régions les moins chaudes d’Espagne.

“Il est crucial que le secteur touristique innove et investisse en stratégie d’adaptation”, concluent les auteurs de l’enquête. Or à ce jour, selon Jorge Olcina, il n’y a que cinq municipalités qui ont élaboré ce type de plans, sur plus de 8 000 municipalités existantes. “Nous estimons que cela peut constituer une opportunité au-delà de l’impact positif sur le climat. Avoir une offre à faible impact environnemental contribue non seulement à atténuer un processus climatique qui menace le tourisme en Espagne, mais permet également d’accéder à un marché en croissance”, poursuivent les experts de CaixaBank Research.

Les destinations du nord de l’Espagne, longtemps boudées par les touristes internationaux, l’ont bien compris et anticipent. San Sebastian, capitale gastronomique du Pays Basque, limite ainsi les groupes de touristes à 25 personnes maximum dans son centre. En Galice, la playa de las Catedrales, considérée comme l’une des plus spectaculaires d’Espagne, limite à 5 000 le nombre de visiteurs quotidiens. En 2023, la fréquentation de la côte cantabrique, dans le nord du pays, a ainsi augmenté de 26% par rapport à la moyenne enregistrée entre 2016 et 2019, alors qu’elle a baissé de 0,5 % aux Canaries et de 0,2 % en Andalousie, selon un rapport publié en mai par la Banque d’Espagne. Celui-ci note en outre une hausse de l’occupation à l’automne et en hiver. Signe que la diversification, géographique et saisonnière – du tourisme espagnol a déjà commencé.

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