“Atteindre le plein emploi”. Voilà l’objectif affiché de la réforme de l’assurance chômage, actuellement proposée par le gouvernement Attal. Parmi les propositions : réduction de la durée et des montants d’indemnisation des chômeurs, mais aussi durcissement des règles permettant de prétendre aux indemnités chômage. Une manière d’encourager les personnes en recherche d’emploi à retrouver plus vite un travail, et donc de réduire les déficits publics.
Mais la réforme pourrait surtout avoir un impact négatif sur la qualité du marché du travail. C’est en tout cas ce que soutiennent un grand nombre d’experts et chercheurs spécialistes du sujet, qui y voient un frein à la formation, au développement d’emplois stables et de qualité, et un vecteur de précarisation des travailleurs.
Des emplois plus précaires, plus de turn-over
En dégradant les conditions d’indemnisation, la réforme de l’emploi pourrait d’abord avoir un impact sur la qualité des recrutements. “Les études montrent qu’une assurance chômage dégradée peut conduire les demandeurs d’emploi à accepter des offres qui ne leur conviennent pas”, analyse ainsi Jean-Marie Pillon, sociologue à l’Université Paris Dauphine. C’est ce que l’on appelle la dégradation de l’appariement sur le marché du travail. Claire Vivès, sociologue au centre d’étude de l’emploi et du travail explique : “Imaginez un travailleur très diplômé et qualifié qui recherche un emploi, il ne va pas forcément trouver en six mois le poste qui correspond à ses compétences. Au bout de quelques mois, si ce travailleur voit arriver la fin de ses indemnités, il va revoir ses exigences à la baisse, et accepter un autre poste, moins qualifié.” Un poste pour lequel il sera donc surdiplômé, surqualifié, et qui aurait pu être occupé par un autre travailleur.
Ces salariés, qui occupent des postes peu adaptés à leurs aspirations et à leurs compétences, sont alors peu engagés dans leur travail, et cherchent à en retrouver un autre rapidement. “La littérature en économie montre ainsi que lorsque les demandeurs d’emplois sont forcés à retrouver un emploi plus vite, cela favorise le turn-over”, analyse Jean-Marie Pillon. Et pour les entreprises, ce turn-over a aussi un coût, puisqu’il faut chercher à nouveau, puis former le nouveau salarié… Avec des règles d’indemnisation plus dures, les travailleurs retrouvent donc certes un emploi un peu plus rapidement, mais ces emplois sont généralement moins qualitatifs, moins adaptés, et plus précaires. En février dernier, la Dares (Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques, affiliée au Ministère du Travail) concluait d’ailleurs que la précédente réforme de durcissement de l’assurance chômage avait surtout créé des emplois précaires.
Déficit de formation, appauvrissement général
Le durcissement des conditions d’indemnisation pourrait également compliquer l’accès à la formation pour de nombreux travailleurs. “La période de chômage est une période où les travailleurs peuvent se former à de nouvelles compétences, mais suivre une formation, ça ne se fait pas forcément en quelques jours”, explique Claire Vivès. Dans des secteurs où les besoins en compétences nouvelles sont nombreux, notamment dans la transition écologique ou les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, ces formations peuvent être longues, et ne peuvent donc être suivies que par des travailleurs qui disposent de temps et de ressources pour voir venir. “Si vous n’avez que 15 mois d’indemnisation, c’est parfois impossible d’envisager une formation pour une reconversion, surtout sur des postes techniques”, ajoute la sociologue. Une assurance-chômage trop restrictive ne pourrait ainsi pas jouer son rôle de filet de sécurité permettant d’organiser et de financer la formation et la transition vers les métiers de demain.
La réforme pourrait aussi contribuer à la dégradation globale de la situation économique des Français, travailleurs ou demandeurs d’emplois, en tirant les salaires vers le bas. Selon Michael Zemmour, économiste au Laboratoire Interdisciplinaire d’Evaluation des Politiques Publiques, “les économistes s’accordent pour dire que, toutes choses égales par ailleurs, ces réformes ont pour effet de diminuer le pouvoir de négociation, aussi bien des salariés en poste que des nouveaux embauchés”. Cela encourage donc les employeurs à proposer des postes moins bien rémunérés, et participe à la “smicardisation” de l’économie. Si l’on ajoute le coût économique et social pour les chômeurs qui verraient leur indemnité baisser, la réforme devrait conduire à un appauvrissement général de la population.
Sans compter que le durcissement des règles de l’assurance-chômage aura également un certain nombre de coûts indirects, notamment sociaux et sanitaires. Des coûts qui touchent essentiellement les plus précaires, les jeunes, et les seniors, comme l’analysait le rapport de la Dares. “Baisser l’indemnisation des personnes en recherche d’emploi, c’est créer de nouvelles situations de précarité, qui touchent aussi les familles des allocataires, leurs conjoints, leurs enfants. Tout cela a un coût social, un coût de santé publique , qu’on n’interroge jamais”, conclut Jean-Marie Pillon.