On pourrait croire à une bonne nouvelle pour l’économie française. Les entreprises tricolores sont parmi celles dans le monde qui ont le plus augmenté les versements de dividendes, selon la dernière étude de la société de gestion britannique Janus Henderson. Elles ont versé 68,7 milliards de dollars à leurs actionnaires en 2023, en progression de 10,4% (hors dividendes exceptionnels). Une progression largement supérieure à celle enregistrée au niveau international. Les 1200 entreprises couvertes par l’étude ont versé en tout 1660 milliards de dollars de dividendes en 2023, en augmentation de 5%.
TotalEnergies atteint la première marche du podium français, avec 7,79 milliards de dollars distribués, suivi par LVMH (6,85 milliards) et BNP Paribas (5,18 milliards). Mais l’entreprise qui obtient la palme de la croissance la plus importante, c’est Engie. Selon l’étude, l’énergéticien a versé le plus gros dividende de ces dix dernières années (3,77 milliards de dollars) et représente la contribution la plus importante à l’augmentation des dividendes en France. Engie a expliqué à ses actionnaires vouloir verser entre 65% et 75% de ses résultats nets part du groupe pour les années 2024 à 2025, le dividende 2023 représentant déjà 65% des bénéfices.
Des niveaux de dividendes décorrélés de l’économie
“Le pessimisme concernant l’économie mondiale s’est avéré infondé en 2023 et, bien que les perspectives soient incertaines, les dividendes sont bien soutenus“, assure Ben Lofthouse, le responsable de l’équipe Global equity income de Janus Henderson. Mais la hausse spectaculaire des dividendes versés par les entreprises françaises semble pourtant décorrélée de l’état réel de l’économie. La Banque de France vient ainsi de publier des projections macroéconomiques à la baisse, montrant que le moteur économique français tourne au ralenti. La croissance pour l’année 2023 a plafonné à 0,9%, les prévisions pour 2024 ayant été révisée à 0,8% (0,9% prévus initialement). L’année 2023 a par ailleurs été secouée par des restructurations retentissantes d’ex-fleurons de l’économie, comme celles de Casino et d’Atos.
Pour l’année 2024, Janus Henderson prévoit pourtant encore une augmentation de la distribution des bénéfices aux actionnaires. Les entreprises pétrolières devraient notamment contribuer à cette tendance, les prix de l’énergie demeurant à des niveaux élevés. Malgré les incertitudes sur l’économie, les dividendes devraient atteindre 1720 milliards d’euros au niveau mondial, en hausse de 5%.
Le partage de la valeur en question
Ces distributions record aux actionnaires posent également la question de la manière dont les entreprises répartissent la valeur créée. Oxfam pointait ainsi du doigt dans un rapport de juin 2023 le fait que les entreprises favorisaient plutôt leurs actionnaires au détriment de leurs salariés. En dix ans, entre 2011 et 2021, les salaires n’ont augmenté que de 22% tandis que les versements aux actionnaires progressaient de 57%.
Pire, l’ONG s’inquiète du fait que les entreprises françaises versent une trop grande part de leurs gains, les dividendes ayant représenté 71% de leurs bénéfices sur cette période. Pour certaines, des dividendes ont été versés alors même qu’elles étaient en déficit, l’étude pointant notamment Engie. La transition écologique va pourtant leur imposer d’augmenter leurs investissements afin de décarboner leurs modèles d’affaires. L’institut I4CE estime ainsi que, dans l’Union européenne, les investissements publics et privés devraient doubler tous les ans d’ici 2030 pour atteindre les objectifs climatiques du Green deal, soit 813 milliards d’euros d’investissement, contre 407 milliards en 2022. L’arbitrage entre les actionnaires et les investissements verts ne semble donc, pour l’instant, toujours pas à la hauteur.