Publié le 4 mars 2024

Alors que la transition écologique cristallise les tensions dans le monde agricole, le manque d’engagement des industriels de l’agro-alimentaire est mis en lumière par un nouveau rapport. Le secteur est pourtant un maillon essentiel de la chaîne pour une transformation agro-écologique globale.

Les industries de l’agro-alimentaire ne jouent pas vraiment le jeu de la transformation écologique et sociale. C’est ce que révèle un rapport publié en pleine crise agricole par le Collectif Pour un Réveil Ecologique (PRE), qui fait l’état des lieux de l’engagement des entreprises du secteur en matière de transformation durable.

Une vingtaine de grandes entreprises françaises ont été contactées et analysées par le collectif. Sept ont répondu : Nestlé France, McDonald’s, Sodexo, Kellanova (anciennement Kellog’s), Bel, Cooperl Arc Atlantique, Labeyrie Fine Foods, Savencia Fromage & Dairy et Sodiaal. Résultat : pas de transformation radicale en vue !

“Faible remise en question du modèle actuel”

Premier constat : “les entreprises du secteur sont encore inégalement engagées” dans une démarche de transformation écologique et sociale et les démarches mises en place révèlent une “faible remise en question du modèle actuel”. La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) commence doucement à s’imposer dans la gouvernance des entreprises du secteur : “ces enjeux montent en puissance, avec des indicateurs plus clairs, ils arrivent progressivement dans les discussions stratégiques, y compris au COMEX” analyse Lucie Jean-Marius, membre du collectif PRE, co-rédactrice du rapport. Mais pour de nombreuses entreprises, la démarche RSE n’en est qu’à ses débuts. C’est le cas de Kellanova, qui n’a créé sa direction RSE qu’en 2022 : “nous traitions déjà ces enjeux avant, mais il est vrai que la création de notre direction RSE est récente”, concède Hélène Boyer, en charge des affaires Corporate et de la communication, qui gère la RSE pour le groupe.

Surtout, les enjeux les plus essentiels de la transformation durable du système alimentaire restent peu pris en compte par les entreprises du secteur : “la plupart des entreprises ne semblent pas encore pleinement conscientes de leur impact sur la biodiversité par exemple, ou des risques associés. On a peu d’indicateurs sur le sujet, alors que c’est fondamental”, explique Lucie Jean-Marius. Elle ajoute : “sur la réduction de la production d’aliments d’origine animale, la composition des produits ou les ingrédients controversés, les évolutions sont loin d’être acquises.” Kellanova par exemple, explique à Novethic avoir réduit de 25% le sucre des recettes de ses céréales pour enfants depuis 2011. Mais il représente toujours 30% des recettes de ses céréales fourrées destinées aux enfants, qui consomment bien trop de sucre en France selon les autorités sanitaires. Sans parler des autres ingrédients controversés, dont certains émulsifiants décriés pour leur impact sanitaire.

Peu de transformations structurelles, surtout dans les grands groupes

Les logiques de développement basées sur la réduction maximale des coûts, largement pointées du doigt pendant la crise agricole, restent elles aussi la norme. Mais il y a un sujet sur lequel la prise de conscience est réelle : celui des pratiques agricoles. “La filière est consciente que c’est un sujet essentiel. Beaucoup de choses sont donc mises en place, notamment autour des concepts d’agro-écologie, d’agriculture régénérative, autour de la notion de qualité des sols“, commente Lucie Jean-Marius. C’est le cas de Kellanova comme l’explique Hélène Boyer : “Nous avons mis en place notamment dans le Delta de l’Ebre en Espagne un programme pour accompagner les riziculteurs sur la qualité des sols et la biodiversité“. Le problème, pour Lucie Jean-Marius, “c’est que chacun met un peu ce qu’il veut derrière ces termes, qui veulent tout et rien dire. Par exemple, pour l’instant, aucun ne s’attaque directement à l’enjeu essentiel des pesticides.” 

Globalement, ce sont les coopératives et les entreprises familiales qui affichent les modèles les plus compatibles avec la transition écologique et sociale. Les grands groupes, notamment ceux qui sont soumis à la pression de leurs actionnaires, semblent moins proactifs, et moins ouverts au dialogue sur ces problématiques. Ce que regrette Lucie Jean-Marius : “Il y a ceux qui ont accepté de nous répondre, dans une démarche de progrès, qui se sont intéressés à nos retours… et il y a les autres, plutôt les grands groupes, comme Lactalis, qui n’ont pas vraiment envie de questionner leurs modèles, ni d’être exposés. On a donc un biais dans notre analyse : ceux avec qui on a discuté sont plutôt les bons élèves, le reste du secteur est probablement pire”. D’ailleurs, contactés par Novethic, Nestlé et McDonald’s n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

L’inertie du secteur, qui est un donneur d’ordre pour le monde agricole, explique en partie les difficultés de l’agriculture à se transformer. Alors, que faire pour que l’agro-alimentaire se mobilise enfin ? Pour Lucie Jean-Marius “la clé, c’est de renforcer la réglementation, pour que les directions et les objectifs soient posés clairement. Il n’y a pas de secret, quand les entreprises se transforment, cela vient souvent d’un volet réglementaire.”

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