Publié le 18 octobre 2022
Conflit d’intérêts et zones d’ombres dans l’articulation entre les missions des différents cabinets de consulting dans le cadre du plan Recovery, le plan de relance européen post-Covid. On retrouve ces cabinets auprès des gouvernements européens pour les aider à percevoir l’argent du plan de relance, mais aussi à la mise en œuvre des programmes qui découlent dudit plan. Les Recovery Files sont le fruit de l’enquête d’un collectif d’investigation auquel appartient Le Monde. Il décortique l’essence même du lobbying de ce type : une énorme couche de technique sur un sujet souvent éminemment politique, ce qui le rend inaccessible à la compréhension de l’opinion publique et au pilotage par les représentants politiques, élus démocratiquement.

L’Union Européenne a voulu bâtir un plan de relance collectif qui devait à la fois donner corps à son Green deal et financer l’adaptation des pays membres aux défis de transformation qu’elle rencontre sur l’énergie comme sur l’économie digitale. Elle a donc adopté, en 2021, un plan “de relance et de résilience”, Recovery plan en anglais, de 723,8 milliards d’euros destinés aux différents programmes des pays membres qui devaient proposer des projets entrant dans ce cadre. L’importance stratégique de ce plan sur l’orientation économique et environnementale des politiques publiques est telle que le collectif d’investigation néerlandais Follow the money a décidé d’enquêter sur la façon dont le plan a été mis en œuvre. Son mantra : “les démocraties sont fragiles, les médias indépendants sont vitaux. Pour informer et mettre en lumière, nous suivons l’argent”.


Le Monde, qui participe à ce collectif, a donc publié le résultat de cette enquête dédiée au plan de relance intitulée Recovery Files. Sa première conclusion : ce sont les cabinets de consulting internationaux comme McKinsey ou PwC qui en sont les premiers bénéficiaires. À la fois parce qu’ils aident les gouvernements à monter leurs dossiers de demande pour bénéficier des subsides du plan de relance, mais aussi parce qu’ils sont recrutés par les gouvernements pour dérouler les programmes liés à ces dossiers. 

Possibles conflits d’intérêts

Les enquêteurs du collectif de médias mettent en exergue le cas grec. En mai, le gouvernement annonce avoir bénéficié du plan pour “moderniser la gestion des finances publiques” et passe un contrat de plus de 51 millions d’euros avec trois firmes de consulting pour organiser cette modernisation, dont PwC Grèce. Or PwC Grèce a participé à l’élaboration du plan soumis à la Commission européenne. 

Dans un autre cas, McKinsey a démarché le ministère de l’Économie néerlandais début 2021 en mettant en exergue le fait qu’il avait “accompagné plusieurs pays de l’Union européenne sur leurs plans de relance”. En France, l’absence de transparence sur la nature des contrats limite les investigations mais le journaliste du Monde, Adrien Sénécat, fait des recoupements concernant le recours à Capgemini Invent pour concevoir Pilote, l’outil digital de suivi territorial des politiques de relance, ou le dispositif de distribution de Ma Prime Renov’ pour financer la rénovation thermique des bâtiments. Il souligne que “ces interventions ravivent aussi, partout en Europe, des interrogations sur de possibles conflits d’intérêts entre les clients publics et privés des cabinets de conseil”.

Ce type de lobbying insidieux est dénoncé depuis longtemps par l’ONG Transparency International qui se bat pour que les processus d’élaboration des décisions publiques soient beaucoup plus transparents. 

Des processus de décision qui nourrissent la complexité

De façon plus générale, les Recovery files montrent l’envers du décor. Ils expliquent en grande partie l’extrême technicité de la réglementation actuelle qui génère une forte complexité, véritable frein au bon déploiement de réglementations, y compris celle sur la finance durable. Ce montage de processus complexes contribue à faire perdre de vue l’objectif initial de la mobilisation de l’argent public. Cela est vrai pour le plan de relance européenne, comme le montrent les Recovery Files, mais aussi pour le programme d’accès aux vaccins contre le Covid-19 dans les pays les plus pauvres.

Cette nouvelle affaire souligne comment s’élabore la décision publique aujourd’hui dans la plupart des grands pays européens. Elle est souvent le fruit d’un cocktail entre un lobbying très actif de défenseurs d’intérêts privés et de recommandations techniques de cabinets de consulting qui ont le même cadre de raisonnement : complexifier les processus pour réduire le coûts des ressources humaines utilisées pour les mettre en œuvre.■

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