L’affaire semblait close lorsque qu’Ethical coffee company (ECC) a définitivement mis la clé sous la porte en 2018. Mais les investisseurs et créanciers de la société suisse qui s’était attaquée au géant Nespresso dix ans auparavant, ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils ont porté plainte en Suisse contre la filiale de Nestlé, pour tenter de récupérer une partie de leur mise. En tout, une dizaine d’investisseurs dont le présentateur de télévision Arthur, qui aurait investi 8 millions d’euros dans l’entreprise, réclament près de 300 millions d’euros au géant suisse de l’agroalimentaire en réparation du préjudice qu’ils ont subi au cours de la véritable “guerre des dosettes” à laquelle se sont livrées les deux entreprises.
Ethical coffee company fait office de “petit poucet” dans l’histoire. La société suisse, créée en 2008 par un ancien de chez Nespresso, ambitionnait de lancer des dosettes de café capables de concurrencer celles de la célèbre marque au marketing exclusif. Avec cependant une différence : ECC proposait des capsules biodégradables, et non en aluminium, et les vendait dans les enseignes de la grande distribution, et non dans un réseau captif. Le tout, à un prix bien inférieur à celui pratiqué par Nespresso qui revendiquait à son démarrage les codes du luxe. L’arrivée de la petite entreprise sur le marché de Nespresso, avec des dosettes capables de fonctionner sur ses machines à café, avait déclenché un véritable tir de barrage de la part du grand groupe. Celui-ci avait rapidement lancé des procédures pour faire interdire la vente des capsules d’ECC en raison de l’atteinte à ses marques et brevets.
Bataille juridique
Pendant près de dix ans, les deux entreprises se sont donc mené une guerre par tribunaux interposés. “Des conflits sont nés dans le monde entier, aussi bien en Suisse, qu’en Allemagne, en France, aux États-Unis, etc.“, explique un connaisseur du dossier à Novethic, qui préfère rester anonyme. Nespresso parvient ainsi à faire interdire à la vente les dosettes d’ECC en Suisse pendant plus de trois ans, privant la jeune entreprise de son marché domestique. L’un des angles d’attaque de la multinationale reposait sur la forme des capsules, qu’elle avait fait déposer en tant que marque tridimensionnelle. Ce type de protection permet de reconnaître que la forme caractéristique du produit constitue un élément de la propriété intellectuelle de l’entreprise, c’est le cas par exemple pour les bouteilles de Coca-Cola.
Une protection qui a cependant été invalidée aussi bien par la justice Suisse, que par celles d’autres pays de l’Union européenne. La forme des capsules est dictée par les contraintes techniques pour fonctionner dans les machines à café, non par un choix de marque, ont décidé les juges. C’est sur ce fondement là que les investisseurs, menés par Arthur, ont décidé de saisir la justice contre Nespresso, estimant que le grand groupe avait usé de ce stratagème pour mettre des bâtons dans les roues de son concurrent. “ECC avait gagné le recours devant le tribunal fédéral contre le dépôt de la marque tridimensionnelle, cela ouvrait donc la voie pour des demandes de dommages et intérêts“, explique la personne proche du dossier d’Ethical coffee company.
Démocratiser la vente de capsules
Les investisseurs espèrent donc se faire indemniser du préjudice causé sur le marché suisse par les multiples procédures lancées par Nespresso. La multinationale a déclaré auprès de Novethic avoir “pris acte du dossier déposé par les créanciers d’Ethical Coffee Company“, mais a décliné tout commentaire sur une procédure judiciaire en cours.
Pour le proche du dossier interrogé par Novethic, “ces procès ont eu pour effet de tuer l’innovation, car ECC démocratisait la vente d’un café de qualité avec des capsules biodégradables“. Les nombreux procès ont coûté cher à ECC, un coût qu’un grand groupe comme Nestlé pouvait absorber. Mais pas une jeune société qui se lançait sur le marché.
D’autres ont cependant pu s’engouffrer dans la brèche pendant que Nespresso était occupé à ferrailler contre ECC. Les dosettes de marques concurrentes et compatibles avec les machines Nespresso (L’Or, Carte Noire, etc.) ont finalement réussi à se frayer un chemin sur un marché qu’ECC avait estimé à 1 milliard d’euros, sans que le droit des brevets ne puisse leur être opposé.