Sultan al Jaber, le président de la COP28, également à la tête de la compagnie pétrolière nationale Adnoc, affirme que son entreprise continuera à investir dans le pétrole. Une déclaration qui a de quoi surprendre deux jours seulement après la fin du sommet. L’accord de Dubaï qu’il a orchestré appelle en effet pour la première fois de l’histoire des négociations climatiques à "abandonner progressivement les énergies fossiles".
"Le monde continue d’avoir besoin de pétrole et de gaz à faibles émissions de carbone et à faible coût", s’est-t-il justifié au Guardian, dans un entretien publié vendredi 15 décembre. Il note ainsi que les hydrocarbures d’Adnoc sont à faible teneur en carbone car ils sont extraits efficacement et avec moins de fuites que les autres sources, notamment le pétrole non conventionnel. "En fin de compte, n’oubliez pas que c’est la demande qui décidera et dictera quel type de source d’énergie permettra de répondre aux besoins énergétiques mondiaux croissants", a-t-il ajouté.
"Aucun impact sur les exportations de pétrole"
C’est bien là le signe que la formulation retenue dans l’accord de Dubaï est suffisamment floue pour laisser libre cours à son interprétation. Le ministre saoudien de l’Énergie, dont le pays est accusé d’avoir bloquer un texte plus ambitieux à la COP28, s’est lui aussi empressé de minimiser la portée de l’accord dès son adoption. Le prince Abdel Aziz ben Salamane a ainsi souligné qu’il n’aurait "aucun impact" sur les exportations de son pays. Selon lui, le texte "n’impose rien" aux pays producteurs et leur permet de réduire leurs émissions en fonction de leurs moyens et de leurs intérêts.
Le jour même de l’accord de Dubaï, l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) annonçait d’ailleurs ses prévisions de "croissance saine" pour la demande mondiale de pétrole en 2024. On devrait consommer l’an prochain, selon le cartel pétrolier, plus de 104 millions de barils par jour, contre 102 millions en 2023. L’Opep avait aussi été à la manœuvre pendant la COP28 pour réduire l’ambition de l’accord en demandant à ses membres de refuser tout texte ciblant les énergies fossiles.
En France, TotalÉnergies s’est aussi réjoui de la conclusion de la COP28, son PDG Patrick Pouyanné ayant fait le déplacement à Dubaï au sein de la délégation française. Dans un communiqué, la major "note avec intérêt la mention dans l’accord de l’utilité des énergies comme le gaz". L’Ufip, l’Union française des industries pétrolières, salue aussi l’accord. "On va vers un monde qui n’utilisera plus de pétrole", reconnait son président Olivier Gantois sur BFM Business. Mais pour lui aussi tout se joue au niveau de la demande et donc pas au niveau des pétroliers. "Il ne faut pas assécher l’offre au risque de créer une pénurie", prévient-il.
"La direction est très claire"
Face à ces réactions, on peut assez légitimement s’interroger sur l’impact qu’aura l’accord de Dubaï. Mais il faut aussi avoir en tête les limites de l’exercice des COP qui impose de trouver un consensus à près de 200 pays et qui nécessite dès lors un langage ni trop ambitieux ni trop contraignant pour être accepté de tous. C’est donc désormais aux États de traduire les engagements pris à la COP28 dans leurs politiques publiques et mettre en place des mesures pour favoriser cette sortie des énergies fossiles en favorisant le déploiement de mobilités douces et en permettant l’accès des plus modestes aux voitures électriques.
Il en est de même pour les entreprises et les investisseurs au risque sinon de subir de lourdes pertes. Dans un rapport publié le 23 novembre, l’Agence internationale de l’énergie estime que la valorisation actuelle des sociétés pétrolières et gazières privées pourrait chuter de 25% si tous les objectifs nationaux en matière d’énergie et de climat étaient atteints, et jusqu’à 60% si le monde s’efforçait de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.
"Pour moi, ce qui est clair est que 200 pays ont signé un document pour dire adieu aux énergies fossiles. La direction est très claire", a déclaré Fatih Birol, le président de l’AIE dans une interview à l’AFP, à l’issue de la COP28. "Je pense qu’il [l’accord de Dubaï, ndr] donne un signal sans équivoque aux investisseurs : si vous continuez à investir dans les combustibles fossiles, vous prenez de sérieux risques en terme de business. C’est aussi un signal qui montre aux investisseurs que les énergies propres sont plus rentables que beaucoup l’imaginent", a-t-il ajouté.
Concepcion Alvarez