Mis sur le marché en 1976 comme adjuvant aux traitements antidiabétiques, le Mediator, produit par les laboratoires Server a souvent été prescrit indûment comme coupe-faim et a causé de graves lésions cardiovasculaires, pouvant s’avérer mortelles, chez des milliers de patients. En 2013, une expertise judiciaire, contestée par Servier, avait évalué entre 1 300 et 1 800 le nombre de morts de maladie cardiaque, à long terme, imputable au Mediator.
Après 13 ans de bataille, la cour d’appel de Paris a lourdement condamné le groupe pharmaceutique mercredi 20 décembre. "C’est une immense victoire pour les victimes que je représente et que je défends depuis la première plainte de novembre 2010", a commenté Charles-Joseph Oudin, l’un des avocats des plus de 7 000 parties civiles. Le deuxième laboratoire médical français a été reconnu coupable de tous les délits qui lui étaient reprochés, y compris les délits d’"escroquerie" et d’"obtention indue de mise sur le marché" pour lequel il avait été relaxé en première instance.
"Tromperie aggravée" et "homicides et blessures involontaires"
La cour d’appel a également confirmé la culpabilité de Servier pour les délits de "tromperie aggravée" et "homicides et blessures involontaires". Les six sociétés composant le groupe devront verser une amende totale de quelque 9 millions d’euros. S’agissant des caisses d’assurance maladie et des mutuelles, la cour a condamné Servier à leur verser la somme de plus de 415 millions d’euros au titre du préjudice financier, plus d’un million d’euros au titre du préjudice de désorganisation et plus de 5 millions d’euros en frais de procédure.
Jean-Philippe Seta, ex-bras droit du tout-puissant fondateur du groupe Jacques Servier (décédé en 2014) et seule personne physique prévenue au procès en appel, a été condamné à quatre ans de prison dont un an ferme à accomplir sous bracelet électronique et à un total de près de 90 000 euros d’amende. En première instance, il avait été condamné à quatre ans de prison avec sursis et 90 600 euros d’amende.
La cour n’a pas suivi les réquisitions du parquet qui demandait la confiscation des bénéfices de Servier liés au Mediator, soit 182 millions d’euros, arguant que cela risquait "de mettre en péril le groupe". En mars 2021, lors du procès en première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait condamné les six sociétés du laboratoire Servier à 2,7 millions d’euros d’amende, estimant qu’il disposait "à partir de 1995, de suffisamment d’éléments pour prendre conscience des risques mortels" liés au Mediator.
5 000 autres dossiers en cours d’instruction
Lors de la présentation du jugement le président de la cour, Olivier Géron, a souligné que le laboratoire avait "privilégié son intérêt financier sur l’intérêt des patients". Le Mediator a été prescrit à quelque cinq millions de personnes. Il y a eu "une politique systématique de dissimulation vis-à-vis des médecins qui s’interrogeaient au sujet du Mediator", a affirmé M. Géron. Le groupe "n’a jamais pris les mesures qui s’imposaient". Quelque 5 000 autres dossiers pour homicides ou blessures involontaires sont toujours à l’instruction au parquet de Paris, ouvrant la voie à un probable second procès Mediator dans les prochaines années.
En 1999, un premier cas de "valvulopathie", dysfonctionnement des valves cardiaques, avait été décelé chez une personne prenant du Mediator. Le médicament avait été retiré du marché en Espagne et en Italie en 2003-2004. En 2007, le Dr Irène Frachon, pneumologue à Brest (ouest), entamait des recherches sur les effets dangereux du médicament et révélait l’ampleur du scandale. En 2009, il est retiré du marché. La lanceuse d’alerte relatera en 2010 son enquête et son difficile combat dans le livre "Mediator 150 mg, combien de morts ?"
"Cette condamnation est en partie en contradiction avec le jugement rendu par les juges de première instance. En conséquence, le groupe Servier a pris la décision de former un pourvoi en cassation" a réagi le groupe dans un communiqué, tout en se disant "en mesure de faire face à cette décision décevante à bien des égards", ajoute-t-il.
La rédaction avec AFP