Le Salon de l’agriculture se déroule cette année encore dans un climat de méfiance et de tensions, marqué par une percée historique de la Coordination rurale aux dernières élections des Chambres d’agriculture début février. Le syndicat, classé très à droite, s’est illustré ces derniers mois dans la contestation agricole et en particulier sur le refus des normes environnementales. Un axe également défendu par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs. Le sujet sera au cœur des discussions dans les allées du parc des Expositions de Paris alors que la loi d’orientation agricole (LOA) a définitivement été adoptée in extremis par le Parlement, juste avant l’ouverture du Salon samedi 22 février.
Avec ce texte, “nous ré-ancrons les deux pieds de la France dans le socle le plus solide et le plus fidèle de toutes les civilisations humaines: l’agriculture. Le cadre est désormais posé pour la reconquête de notre souveraineté alimentaire et la parole de l’État est tenue“, a lancé la ministre de l’Agriculture Annie Genevard. A l’inverse, l’écologiste Yannick Jadot dénonce “une loi du déni de la nature” faisant la part belle à “une forme d’obscurantisme qui nous éloigne des réponses et des transitions nécessaires” et n’aborde pas la question centrale du revenu agricole.
Ce texte, majeur pour l’avenir de l’agriculture française, est censé répondre à la colère mais aussi aux nombreuses difficultés des agriculteurs. Présenté par le gouvernement en avril 2024, puis mis en pause par la dissolution et la censure, il avait été adopté en première lecture à l’Assemblée en mai dernier. La chambre haute, largement dominée par des élus de droite et du centre, l’a largement remanié et c’est cette version qui a été adoptée. La souveraineté alimentaire y est érigée au rang “d’intérêt fondamental de la Nation” doublée d’un principe de non-régression. Le texte dépénalise aussi certaines atteintes dites “non-intentionnelles” à l’environnement et revient sur l’interdiction de pesticides qui n’auraient pas d’alternatives viables économiquement et techniquement. Le tout dans le but, selon le gouvernement et une majorité d’élus, de s’attaquer aux “boulets” accrochés aux fourches des agriculteurs.
Conception productiviste de la souveraineté alimentaire
“On veut nous faire croire qu’on va sauver l’agriculture et libérer le potentiel productif de la France à coup de pesticides et en allégeant les normes environnementales alors que les sols sont très dégradés, que les rendements sont déjà en berne et que la rémunération des agriculteurs, y compris dans l’élevage reste trop faible, réagit auprès de Novethic Thomas Uthayakumar, directeur des Programmes et du plaidoyer au sein de la Fondation pour la nature et l’homme. La LOA devait permettre le renouvellement des générations. Mais en favorisant l’agriculture intensive, cela aura pour conséquence de réduire encore davantage le nombre d’exploitations et d’agriculteurs.” L’association avait lancé une pétition pour demander aux parlementaires de revenir à l’esprit initial de cette loi et notamment de réintégrer les objectifs de surface en bio, supprimés par les sénateurs et finalement réintégrés en Commission mixte paritaire. “C’est la seule et mince victoire”, commente Thomas Uthayakumar.
De son côté, le Réseau action climat (RAC) s’est penché sur la notion de “souveraineté alimentaire” utilisée ici dans “une conception productiviste et commerciale“. “Les nombreux discours mettant en avant cette notion insistent souvent sur la nécessité de produire plus, notamment pour réduire les dépendances du pays et ainsi améliorer la balance commerciale de la France”, explique le RAC. Mais les pouvoirs publics font “fausse route” car “l’élevage intensif est très dépendant des importations, de soja principalement, et mobilise une part importante de la surface cultivée“, poursuit la fédération d’associations dans un rapport publié mercredi 19 février.
“Aujourd’hui, 95% du soja utilisé pour l’alimentation des élevages français est importé. Cela représente 3 millions de tonnes par an, et 1,5 milliard d’euros pour l’année 2022. Pour compenser ces importations, il faudrait multiplier la production de soja en France par 8,5. Cela représenterait plus de 50% de la surface cultivée, rien que pour nourrir des animaux d’élevage, et en particulier les poulets qui sont très dépendants du soja”, explique Ronan Grossier, responsable agriculture au sein du RAC, interrogé par Novethic. Cela entrerait en concurrence avec d’autres productions agricoles stratégiques du pays, notamment la production de céréales pour l’export. “On voit là tout le paradoxe : augmenter l’élevage intensif, notamment pour la volaille, ne nous fera pas gagner en souveraineté alimentaire“, ajoute le spécialiste.
Baisse de la consommation de viande de 15%
Outre la production, c’est aussi du côté de la consommation qu’il faut agir. Alors que la tendance générale est à une baisse de la consommation de bœuf, une stagnation pour le porc et une explosion pour le poulet, le concept du “moins mais mieux” peine à s’imposer. “C’est une pomme de discorde avec les professionnels du secteur. Si nous sommes d’accord sur le diagnostic, nous n’arrivons pas à trouver un accord sur les solutions et en particulier la baisse de la consommation de viande qui est très difficile à accepter”, reconnaît auprès de Novethic Charlie Brocard, co-auteur d’une récente étude de l’Iddri sur la transition agricole et plus spécifiquement sur la consommation de viande.
Les données montrent pourtant que nous pourrions arriver à une réduction de 15%, toutes viandes confondues d’ici 2035, sans rupture majeure, mais en activant certains leviers. Pour que cette baisse ne favorise pas les viandes importées, cela nécessite que la filière française soit accompagnée. Dès lors, les chercheurs appellent à soutenir les filières françaises en matière de durabilité environnementale afin d’aller vers le “mieux“, à mettre en avant l’origine France des produits et à favoriser “un marché juste et loyal“, qui pose les mêmes ambitions sociales et environnementales pour l’ensemble des opérateurs en concurrence.
Mais à l’heure où la simplification, voire la dérégulation, semble être la priorité, ces sujets d’élevages plus durables et résilients et de baisse de la consommation de viande sont totalement évacués des discussions. Ainsi la LOA vise avant tout, sous couvert de souveraineté alimentaire, à simplifier les normes, comme l’appelle de ses vœux Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire, agriculteur et rapporteur du texte au Sénat. Et il entend aller plus loin. C’est lui qui a déposé la proposition de loi pour “Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur”, dite PPL Duplomb. Elle vise notamment à réintroduire à titre dérogatoire certains néonicotinoïdes, encore autorisés en Europe. “Réautoriser les néonicotinoïdes en 2025 est un non-sens historique qui frôle l’obscurantisme”, avait fustigé à la tribune le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot. Le secteur se situe à un tournant : alors que tous les indicateurs sont déjà au rouge, la dérégulation risque bien d’aggraver encore la situation.