Pesticides, engrais, additifs alimentaires, microplastiques, solvants… Partout, dans l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les aliments que nous ingérons, les objets de la vie quotidienne que nous manipulons, la pollution chimique est présente. “C’est un problème aussi important que le climat ou la biodiversité. Il y a une pollution chimique généralisée, tout le monde le sait, mais nous faisons comme si de rien n’était”, déplore auprès de Novethic le professeur Yves Lévi, vice-président de la Fondation de l’académie de médecine, qui vient de publier un livre blanc sur le sujet.
À l’échelle mondiale, le registre du “Chemical Abstracts Service” (CAS) compte plus de 142 millions de références chimiques. Environ 40 000 à 60 000 produits chimiques industriels seraient commercialisés dans le monde, dont 6 000 représentent plus de 99% du volume total. Or, le rapport de la Commission Lancet sur la pollution et la santé révèle que la pollution de l’air, de l’eau et du sol est responsable d’environ 9 millions de décès prématurés et coûte au monde des milliards de dollars chaque année. Cela représente environ trois fois le fardeau des décès dus au paludisme, au VIH/SIDA et à la tuberculose réunis.
Produire un rapport périodique
C’est le sens de la résolution 5/8 adoptée en mars 2022 au sein de l’Assemblée générale des Nations-Unies pour l’environnement (ANUE). Elle vise à mettre en place, d’ici fin 2024 une plateforme internationale scientifique et politique “sur les produits chimiques, les déchets et les pollutions” en suivant le modèle du Giec pour le changement climatique, ou encore de l’Ipbes pour la dégradation de la biodiversité. Son objectif sera de produire un rapport périodique dressant l’état de la pollution chimique mondiale de l’air, de l’eau, des sols et des organismes vivants à partir de la littérature scientifique existante afin de guider les décideurs dans leur prise de décision.
Dans le détail, le panel devra mener “un tour d’horizon prospectif pour recenser les questions relevant de la décision politique et proposer des solutions fondées sur des données probantes ; procéder à l’évaluation des problèmes actuels et des solutions possibles ; fournir des informations pertinentes, identifier les lacunes dans les connaissances scientifiques ; faciliter l’échange d’informations entre pays et, en particulier, avec les pays en développement“, liste Lucien Chabason, conseiller de la direction, qui suit le sujet pour l’Iddri.
Contacté par Novethic, il explique que les négociations avancent bien, la prochaine réunion du groupe de travail se tenant en Suisse en juin prochain. “Ce n’est pas problématique d’un point de vue politique comme peut l’être le traité mondial sur la pollution plastique. Ici, l’idée de créer un “Giec” de la chimie a déjà été actée. Il s’agit désormais de se mettre d’accord sur la mécanique à mettre en place”, explique-t-il. “Il y a notamment un problème de conflit d’intérêts très important dans ce domaine. L’industrie chimique a un rôle clé et dispose d’une expertise énorme qu’elle peut avoir tendance à imposer…”
“Spectacle secondaire”
Lors de la réunion du groupe de travail en décembre dernier à Nairobi, le sujet a largement été mis sur la table et compte parmi les plus controversés. “Si le groupe de travail veut être un organisme crédible et pertinent, il doit inclure des scientifiques indépendants, de la société civile et des experts autochtones. Sinon, il court le risque de devenir un autre spectacle secondaire soutenu par l’industrie”, prévient Giulia Carlini, avocate principale et responsable du programme de santé environnementale au Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL).
Présente également à cette réunion, l’International Council of Chemical Associations (ICCA), qui représente les industriels du secteur “soutient l’inclusion d’un large éventail de parties prenantes au sein du panel”. “Nous croyons que cela ne devrait pas être trop prescriptif pour le moment, et nous demandons à tous d’être collaboratifs, ouverts d’esprit, et respectueux des autres expertises”, a ainsi déclaré son représentant.
Il s’agit désormais d’accélérer même si les observateurs restent pessimistes sur la création de ce nouveau panel d’ici la fin de l’année, comme prévu initialement. “Un ‘GIEC de la pollution chimique’ de légitimité incontestable, publiant ses résultats chaque année, aidera les décideurs publics, et particulièrement les élus, à prévenir les risques. Le principe fait lentement son chemin, comme en témoigne la conférence du Programme des Nations unies pour l’environnement, organisée à Nairobi en décembre 2023. Il s’agit à présent d’accélérer significativement cette préconfiguration et de s’assurer de sa mise en œuvre”, ont écrit une quinzaine de personnalités, médecins, politiques et responsables d’associations, dont Yves Lévi, dans une tribune au Monde, publiée le 2 février dernier.