L’avenir s’assombrit pour le bio. C’est par des colis de blé, de lait et de tournesol certifiés Agriculture Biologique envoyés à Matignon que des agriculteurs ont tenté d’attirer l’attention. “Attention : agriculture biologique en danger, risque de déconversion”, s’intitule la lettre qui à destination du Premier ministre Gabriel Attal signée du GABB18, le Groupement des agriculteurs biologiques et biodynamique du Cher, le 21 février. L’appel à l’aide illustre une crise étendue.
“Il n’y a pas de débouchés, je ne vends plus aucune de mes vaches en bio et songe à arrêter”, déplore auprès de Novethic Nicolas Lassalle, éleveur en bio depuis 20 ans et Président du Syndicat des éleveurs gascons de l’Aude. Entre l’inflation qui grève le budget alimentaire mais aussi une crise de confiance envers le bio, les Français s’en détournent. La tendance est telle qu’entre janvier et juillet 2023, le volume de produits bio vendus dans la grande distribution a plongé de 13% selon une étude du Circana, cabinet de conseil spécialisé dans la consommation.
Des labels concurrents privilégiés
Pour de nombreux agriculteurs et éleveurs, vendre en bio n’est plus attractif. “Nous sommes passés au label Bleu, Blanc, Cœur en 2023, qui nous permet de vendre plus cher qu’en bio”, témoigne auprès de Novethic Stéphanie Lebegue, installée depuis 2016 avec ses parents dans les Ardennes. Ce label privé dispose de son propre cahier des charges pour améliorer la qualité de l’alimentation des bêtes mais reste moins contraignant que la certification bio sur de nombreux aspects. Malgré tout, avec ses vaches Pie Rouge et Holstein choisies pour leur résistance aux maladies, la laiterie familiale veut continuer de se passer d’intrants et de produits pharmaceutiques. “Nous sommes venus au bio par conviction, notre objectif est de conserver la certification même elle n’est pas affichée et si possible, de revendre plus tard en bio”, explique Stéphanie Lebegue.
Reste que les surcoûts du bio peuvent être difficiles à supporter. “Il faut être très productif pour continuer à fonctionner et réaliser les investissements nécessaires : les plants, les palissages, les filets de protection… Aujourd’hui, 60% de ma production est bio contre 100% il y a 15 ans”, explique à Novethic Jérome Berthalin, responsable du verger La Coccinelle spécialisé dans les pommes. Pourtant, avec une productivité estimée à 45 tonnes par hectare, il s’estime faire partie des producteurs les mieux positionnés.
La croissance du bio en sursis
De quoi mettre à mal les objectifs du gouvernement qui vise 18% de surfaces bio en 2027 contre 10% en 2022, selon l’Agence Bio. Difficile pour l’heure d’évaluer l’ampleur de l’abandon du bio pour les agriculteurs. Une indication sera donnée en mai lors des prochaines déclarations pour la Politique Agricole Commune (PAC). “Ça va être une tendance proche de 0, peu de baisse ou peu d’augmentation, ce qui est inédit”, évalue auprès de Novethic Loïc Madeline, secrétaire national de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB). Et cela, sans compter les produits certifiés bio mais vendus sans l’étiquette.
“On peut déclasser du bio, en réalité ça améliore la qualité du conventionnel, mais nous voulons que cela soit financé”, explique Loïc Madeline. A la baisse de la demande et des prix de ventes s’ajoutent d’autres difficultés : l’impact du dérèglement climatique, l’opacité des marges réalisées par la grande distribution… Le gouvernement a annoncé le 28 février un nouveau un fonds d’urgence de 90 millions d’euros, sous réserve qu’il soit accepté par la Commission européenne, s’ajoutant à un précédent de 50 millions d’euros. “Insuffisant”, selon la FNAB qui évalue les pertes pour 2023 à 300 millions d’euros par rapport au niveau de la demande des années pre-covid.
Parmi les principales revendications de la FNAB se trouve le respect de la loi Egalim, notamment l’obligation d’intégrer du bio dans la restauration collective, qui fait espérer une remontée de la demande et une hausse des prix d’achat du bio. L’enjeu est aussi d’éviter un potentiel cercle vicieux de l’abandon du bio : “les produits bio ont besoin de visibilité pour rester à l’esprit des consommateurs et dans leurs paniers”, analyse Emilie Mayer, directrice Business Insights chez Circana.