Publié le 19 mai 2020
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Taxe GAFA : la pandémie retarde la réforme fiscale devenue encore plus urgente et nécessaire
Début mai, l’OCDE a annoncé le report de trois mois de sa réforme fiscale concernant les géants du numérique et plus largement des multinationales. Une conséquence de la crise du Covid-19 qui fait passer les plans de relance au premier plan. Mais face au manque à gagner dû à l’évitement fiscal que la pandémie rend plus prégnante encore, la pression monte pour lutter contre des pratiques qui pèsent sur les services essentiels comme les systèmes de santé.

@Ja-Inter
La réforme de la fiscalité des multinationales va-t-elle pâtir de la crise du Covid-19 ? L’OCDE, l’organisation de coopération et de développement économique, vient d’annoncer un report de trois mois de la "taxe GAFA". Elle doit permettre de mieux taxer les activités numériques des multinationales. Un dossier crucial pour lutter contre l’évitement fiscal qui devrait rapporter plus de 100 milliards de dollars par an.
La cause de ce report est la crise du Covid-19 qui paralyse les économies du monde entier et relègue la réforme de la fiscalité, sujet hautement sensible, au second plan face aux plans de relance. Un décalage qui tombe mal alors que l'OCDE avait enfin obtenu l'accord des géants du numérique. Mais plusieurs gouvernements compteraient bien sur leurs régimes fiscaux attractifs quelques années encore pour permettre à leur économie de reprendre le chemin de la croissance…
Numérique : une réforme d’autant plus urgente avec la crise
Et pourtant, "relever les défis fiscaux soulevés par la transformation digitale de l’économie et faire en sorte que les multinationales paient un niveau minimum d’impôt deviendront des enjeux encore plus importants après la crise, estime l'OCDE. L’utilisation accrue des services numériques et la nécessité de mobiliser des recettes fiscales supplémentaires pourraient même imprimer une nouvelle dynamique à la recherche d’un consensus international". D’autant que "cette crise montre que ceux qui s'en sortent aujourd'hui le mieux, ce sont les géants du numérique alors que ce sont les moins taxés ", souligne de son côté le ministre français de l’Économie, Bruno le Maire.
La crise a rendu encore plus indispensable la récupération du manque à gagner fiscal induit par les pratiques actuelles. Celui-ci doit être réinjecté dans les infrastructures publiques essentielles comme les systèmes de soins. Dans un article publié en septembre 2019 sur le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et portant sur 100 pays, la chercheuse Bernadette Ann-Marie O’Hare démontre ainsi que les revenus perdus par l’évitement fiscal des entreprises sont supérieurs aux dépenses de santé des gouvernements et pèsent fortement sur le système et les pratiques de soins, particulièrement dans les pays en développement.
Manque à gagner fiscal et défaillance des systèmes de santé
Les pays pauvres ne sont cependant pas les seuls lésés. "Combien d’hôpitaux non financés à cause des stratégies fiscales du CAC40 ?", interpellent des professeurs français d’école de commerce dans une tribune publiée sur Libération. "Si en 2019 l’ensemble des entreprises avaient respecté leur responsabilité légale et n’avaient ni fraudé ni contourné l’impôt sur les sociétés, nous aurions pu construire et faire fonctionner en France 58 centres hospitaliers de taille moyenne. Si l’on inclut la fraude à la TVA et aux cotisations sociales, on passe à 196. Et si les niches fiscales, dont le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ndr), disparaissaient, cela ajouterait 125 hôpitaux supplémentaires par an", calculent-ils. Pour des chercheurs britanniques, de la City University of London et du King’s College, le fait que les plus grandes entreprises paient de moins en moins d'impôts rend également la société "plus vulnérable à la pandémie" en renforçant les inégalités en en fragilisant les petites entreprises et ménages à faibles revenus.
La transformation des pratiques doit donc venir à la fois des États et des entreprises elles-mêmes."La stratégie fiscale fait partie intégrante de la responsabilité sociale et extra-financière des entreprises", rappelle le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR). Et "les investisseurs seront de plus en plus attentifs à l’adoption de bonnes pratiques en termes d’engagement et de transparence", précise son président Alexis Masse. Selon une étude qu’il vient de publier à l’occasion d’une nouvelle campagne d’engagement sur le "civisme fiscal" des entreprises, le CAC40 pèche justement sur ces deux thèmes.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud