Publié le 06 octobre 2015
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Evasion fiscale des multinationales: les pays riches serrent la vis
C’est une semaine cruciale dans la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscale des sociétés. Après l’OCDE qui a dévoilé hier son plan d’action décliné en 15 mesures, les ministres des Finances de l’Union européenne se sont accordés ce mardi sur la transparence des "rulings", ces contrats fiscaux avantageux consentis par certains Etats à des multinationales étrangères. Un système au cœur du scandale LuxLeaks, qui avait éclaté en novembre dernier.

Novethic
La "fin de la récréation" est sifflée pour les multinationales habituées à fuir le fisc. C’est en tout cas ce que promet l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui a dévoilé hier son plan d’action contre l’évasion et l’optimisation fiscales des grands groupes.
Au total, 15 mesures, dont la plupart seront appliquées dès 2016, sont proposées pour mettre fin à ces pratiques qui creusent un sacré trou dans les caisses des Etats. L’OCDE estime en effet le manque à gagner entre 100 et 240 milliards de dollars chaque année, soit 4 à 10 % des recettes issues des impôts sur les sociétés dans le monde.
Encadrement des prix de transfert et reporting pays par pays
Baptisé Beps (Base erosion and profit shifting – Erosion des bases taxables et transfert de bénéfices), le projet a été l’objet d’intenses discussions pendant deux ans entre une soixantaine de pays (OCDE + G20) parmi lesquels les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni mais aussi l’Irlande, les Pays-Bas ou encore le Luxembourg. Il doit être validé jeudi 8 octobre par les ministres des Finances du G20, à Lima, au Pérou, puis présenté aux chefs d’Etats et de gouvernements lors du prochain sommet du G20, à Antalya, en Turquie, mi-novembre.
Parmi les mesures phares de l’accord, on trouve l’encadrement des prix de transfert, outil largement utilisé par les multinationales pour exporter leurs profits vers les pays à fiscalité zéro. Les profits seront désormais taxés là où est produite la valeur. Autre dispositions clé : l’obligation pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros de déclarer leur activité pays par pays. Un reporting qui ne sera pas accessible au grand public et qui concernerait, selon les ONG, seulement 10 à 15 % des entreprises.
"L’OCDE a vidé la proposition de son contenu : garder ces informations confidentielles rend complètement inopérant l’effet dissuasif du reporting pays par pays, alors même qu’il s’agit d’un de ses objectif premiers ! C’est même un recul par rapport à la législation européenne, qui impose depuis 2013 aux banques et établissements financiers de publier ces mêmes informations" réagit Manon Aubry, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France, dans un communiqué.
Transparence sur les "tax rulings"
L’OCDE souhaite aussi que les Etats soient plus transparents entre eux et qu’ils s’échangent automatiquement leurs "tax rulings". Ces régimes fiscaux préférentiels consentis par l’administration fiscale aux multinationales étrangères étaient au cœur du scandale Luxleaks, révélé en novembre dernier. Ces accords ne sont pas illégaux, mais ils permettent à de grandes entreprises de connaître à l'avance le traitement fiscal que leur réservera tel ou tel pays et de minimiser ainsi leurs factures en localisant une partie de leurs bénéfices dans les pays les plus avantageux, au détriment d'autres Etats.
"L’époque où l’optimisation fiscale était au cœur de la stratégie des entreprises multinationales est révolue. Les 'Cash Box' permettant de localiser ses bénéfices aux Bermudes, c’est terminé. Le BEPS ne veut pas pour autant dire qu’il n’y aura plus d’évasion fiscale. Mais, l’évasion fiscale à grande échelle, c’est fini", s’enthousiasme Pascal Saint Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.
Les ONG regrettent, elles, "la résistance encore forte des lobbies du secteur privé mais aussi de certains Etats qui ont manqué d’ambition". Ainsi, l’existence de régimes de taxation préférentiels, comme les "patent boxes", régimes d’imposition préférentiels pour les revenus tirés de la propriété intellectuelle, dont la suppression avait été un temps évoquée, n’est finalement pas remise en cause mais encadrée par des lignes directrices.
"C’est notamment grâce à une 'patent box' luxembourgeoise que MacDonald a pu éviter de payer plus d’un milliard d’euros en cinq ans à plusieurs Etats européens et l’OCDE ne remet cette pratique en cause qu’à la marge", souligne Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire.
"Tourner la page de l’évasion fiscale"
De leur côté, les ministres des Finances de l’UE ont aussi annoncé ce mardi un accord adopté à l’unanimité sur la transparence des "rulings", après une proposition de directive par la Commission européenne en mars dernier faisant suite à l’affaire LuxLeaks. Les Etats membres de l’Union devront automatiquement s’échanger les informations concernant les régimes fiscaux préférentiels accordés aux multinationales. Il s'agit ainsi de créer un effet dissuasif sur les États et les multinationales qui auront alors plus de mal à se livrer à de la concurrence fiscale déloyale.
Par ailleurs, les ministres ont acté une période de rétroactivité de cinq ans, alors que la Commission allait plus loin dans sa proposition avec une période remontant à dix ans. Cela signifie que tous les contrats encore valides passés entre 2012 et 2017 devront être communiqués. Pour ceux qui ne seront plus valides en 2017, la rétroactivité appliquée est de trois ans. Le texte est désormais soumis au vote du Parlement pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2017.
"Nous n'avions jusqu'ici pas l'information sur le contenu de ces rescrits, de ces accords. Nous allons pouvoir mieux taxer toutes les entreprises qui échappaient à l'impôt en utilisant subtilement les législations des pays", estime Michel Sapin, cité par Le Parisien. "Pour la France, ce sont des centaines de millions, pour ne pas dire plus, qui sont en jeu". C'est ce qui fait dire au ministre des Finances français que l'on "est en train de tourner la page de l'évasion fiscale".