Publié le 16 juin 2016

ENVIRONNEMENT

Perturbateurs endocriniens : la Commission européenne met de côté le principe de précaution

Jouer la montre n’était plus possible. Après avoir traîné des pieds pendant six ans et s’être fait condamner de façon inédite en décembre dernier par la justice européenne pour inaction, Bruxelles a présenté hier les critères qui permettront d’identifier les perturbateurs endocriniens, ces substances qui dérèglent le système hormonal. Favoriser l’infertilité, les malformations congénitales, la puberté précoce, certains cancers ou encore l’obésité et le diabète ne sont pas les seuls torts des perturbateurs endocriniens. Ils menacent également les intérêts économiques colossaux des industriels de la chimie et des pesticides. Résultat : la Commission a opté pour une approche fondée sur le danger mais ignorant le principe de précaution. La balle est maintenant dans le camp des États membres et dans celui du Parlement européen.

Photo d'illustration
Voisin / Phanie

Dos au mur. La Commission européenne s’est finalement décidée à s’atteler à la délicate question des perturbateurs endocriniens dans le domaine des pesticides et des biocides.

Elle a mis hier sur la table les critères scientifiques qui permettront de les identifier et, in fine, les interdire à l’échelle européenne. Entre les différentes options, Bruxelles a choisi de s’aligner sur les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont la définition, mise au point en 2002, fait autorité en la matière. Le commissaire européen à la Santé, Vytanis Andriukaitis, l’a résumé ainsi : "un perturbateur endocrinien est une substance qui a des effets indésirables sur la santé humaine et qui agit sur le système hormonal, et dont le lien entre les deux est prouvé".

 

La dose ne fait pas le poison

 

C’est une approche fondée sur le danger. Autrement dit, les substances seront triées sur la base de leurs propriétés intrinsèques, sans tenir compte de l’exposition à la substance. Il est en effet reconnu par de nombreuses études scientifiques que, lorsqu’on parle de perturbateur endocrinien, ce n’est pas la dose qui fait le poison. Comme le souligne l’eurodéputée française écologiste Michèle Rivasi, "un fœtus, par exemple, est beaucoup plus vulnérable qu’un homme de 50 ans"

Le danger ne réside donc pas tant dans la quantité ingérée que dans le moment de l'exposition. Selon l’étude d’impact réalisée par les services de la Commission, 25 pesticides sur les 400 analysés pourraient être affectés par les nouveaux critères. Pour évaluer la dangerosité d’une substance, l’essentiel de la recherche demeure l’expérimentation animale. "Si un problème est perçu sur l’animal, il sera jugé pertinent et applicable à l’homme", assure un spécialiste du dossier à la Commission européenne.

 

Le principe de précaution à la trappe

 

L’approche retenue par la Commission conduit cependant à une classification binaire. Si la substance est classée comme perturbateur endocrinien, elle sera interdite. Sinon, elle sera autorisée. Cela ne laisse guère d’espace au principe de précaution.

La Commission a en effet écarté l’approche par "catégories" privilégiée par les endocrinologues et de nombreuses ONG environnementales, qui permettait de classer les substances en fonction du degré de preuve de leur dangerosité : substance actives, perturbateurs suspectés et perturbateurs avérés.

Autre élément qui fait débat : Bruxelles a prévu des dérogations en cas de "risque négligeable". Ce qui revient à tenir compte de l’exposition à la substance, au grand dam des endocrinologues.

Les industriels se disent néanmoins "déçus". Ils voulaient que le taux d’exposition aux substances soit la règle et non l’exception (critère de la "puissance"). Ils déplorent également que la Commission ait balayé les considérations socio-économiques.

Les deux textes (produits phytosanitaires d’un côté, pesticides de l’autre) présentés par la Commission doivent être maintenant discutés par les experts des États membres. En bout de course, le Parlement européen et le Conseil (représentant des États membres) peuvent encore opposer leur veto.

Julie Majerczak, correspondante à Bruxelles
© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Perturbateurs endocriniens : les dangers de "l'effet cocktail"

Plus de 150 000 substances chimiques de synthèse sont répertoriées dans nos médicaments, nos aliments, les pesticides et de nombreux autres produits. Elles sont présentes dans notre environnement et dans nos organismes. Elles interagissent avec notre métabolisme et sont en partie...

Perturbateurs endocriniens : comment "faire dérailler une décision publique"

Intoxication, l'enquête de la journaliste Stéphane Horel, montre comment le lobby de l’industrie chimique a bloqué toute réglementation européenne des perturbateurs endocriniens, malgré le large consensus qui prévaut dans la communauté scientifique sur leur danger pour la santé publique....

Perturbateurs endocriniens : le Bisphénol A interdit en France mais autorisé pour l'export

Le Conseil constitutionnel a en partie censuré la loi du 30 juin 2010 bannissant l’usage du bisphénol A (BPA) dans les contenants alimentaires. La décision des " sages " n’est pas neutre : les Français n’en consommeront pas, mais les industriels du secteur pourront quand même exporter...

Perturbateurs endocriniens : les coulisses du lobbying à Bruxelles

"En refusant d’interdire les perturbateurs endocriniens, le politique néglige son devoir d’intérêt général"

Rendre visible une menace invisible. C’est l’ambition du dernier ouvrage de François Veillerette et Marine Jobert sur les perturbateurs endocriniens. Des composés très largement utilisés par l’industrie, qui interagissent pourtant avec le système hormonal humain. La question de santé...

Perturbateurs endocriniens : un coût d'au moins 150 milliards d'euros pour l'Europe

150 milliards d'euros : c'est le chiffre choc d'une étude publiée le 6 mars dernier. Il s'agit du montant estimé du coût des perturbateurs endocriniens pour la société européenne. Un coût probablement en deçà de la vérité. En effet, l'incertitude liée à la difficulté de quantifier les...

Bisphénol A : pas de danger pour les consommateurs selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a tranché. Selon elle, l’exposition au bisphénol A ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs, quel que soit leur âge. Cet avis est en contradiction complète avec l’évaluation toxicologique française, mais aussi avec la...

Interdit, le Bisphénol A dans les contenants alimentaires n’a pourtant pas disparu

Depuis le 1er janvier, le bisphénol A (BPA) est interdit en France dans les conserves, canettes et autres contenants alimentaires. Une interdiction qui vient sanctionner la responsabilité de ce perturbateur endocrinien dans des troubles de la fertilité et dans de nombreuses pathologies...

Maladies chroniques environnementales : quelle prise de conscience du gouvernement?

En ouverture de la conférence environnementale, François Hollande a annoncé un "siècle de l’hygiène chimique". Autrement dit, réduire l’exposition des citoyens aux substances chimiques pour endiguer l’épidémie de maladies chroniques. Si aucune mesure emblématique n’est sortie de la table...

10 ans après l’Appel de Paris, quelle prise en compte des polluants chimiques sur la santé ?

C'était en 2004, l’Appel de Paris alertait sur l’impact de la pollution chimique sur la santé. 10 ans plus tard, les preuves scientifiques sur les causes environnementales de l’épidémie de maladies chroniques comme le cancer ou le diabète s’accumulent. Mais ces résultats tardent à être...

ENVIRONNEMENT

Santé environnementale

Perturbateur endocriniens, pesticides, produits cancérigènes, effets toxiques indésirables, cocktails chimiques, la liste est longue des produits considérés comme dangereux pour la santé humaine. Ces dangers font l’objet de controverses comme le montrent les débats autour des ondes magnétiques.

Etudiants medecine discutent

Pandémie, pollution... Une formation environnement désormais obligatoire pour les étudiants en médecine

Les étudiants en médecine suivront, à partir de la rentrée prochaine, un nouveau cours de 6 heures dédié à l'écologie. Il répond aux nouveaux défis de la santé entre pandémies, dérèglement climatique et nécessité de penser la médecine autrement. C'est aussi un moyen de sensibiliser les étudiants à...

Abeille fleur pesticides istock

Un million d'Européens contre les pesticides et pendant ce temps-là... le règlement Reach est enterré

Une nouvelle initiative citoyenne européenne vient d'être validée. C'est seulement la septième sur la centaine déposée en dix ans. Elle concerne pour la seconde fois l'interdiction des pesticides, une préoccupation prégnante au sein de la population. Mais dans les sphères du pouvoir, c'est le...

Guerre ukraine feu ARIS MESSINIS AFP

Ukraine : La destruction de l’environnement, victime collatérale des guerres

Au fil de l'histoire, l'environnement a toujours été une arme de guerre. Si sa destruction volontaire est aujourd'hui interdite, elle est malgré tout une victime collatérale des conflits. Et la guerre en Ukraine n'y échappe pas. Derrière un lourd bilan humain, se cache des pipelines, des mines...

Chlordecone bananier

Antilles et pesticide : le cancer de la prostate lié au chlordécone est une maladie professionnelle

Un décret, publié le 22 décembre, reconnaît que le cancer de la prostate lié au chlordécone, est une maladie professionnelle. C’est le résultat d’un long combat mené par les Antillais pour faire reconnaître leur préjudice sanitaire lié à l’usage massif de ce pesticide dont les bananeraies ont été...