Publié le 15 novembre 2023

ENVIRONNEMENT

Pas-de-Calais : pluies historiques et sous-investissement, un cocktail explosif

Sous les eaux. Le Pas-de-Calais est sévèrement touché par des crues dévastatrices depuis plus d’une semaine. Après une courte accalmie ce week-end, le département est de nouveau sous vigilance avec l’arrivée d’un nouvel épisode pluvieux. Pluies, reliefs, sols engorgés et mauvais entretien des wateringues,… Autant de causes qui expliquent aujourd’hui ces inondations exceptionnelles que le changement climatique pourrait amplifier.

Inondations Pas-de-Calais DENIS CHARLETAFP
Mardi 14 novembre,toutes rivières du département sont en vigilance orange crues par Vigicrues, à l'exception de la Liane qui est repassée en rouge en fin de journée.
DENIS CHARLETAFP

Le déluge n'en finit pas. Alors que le Pas-de-Calais est repassé en vigilance rouge crues pour la rivière Liane mardi 14 novembre au soir, les impacts économiques des fortes précipitations de ces derniers jours sont particulièrement importants. 2 000 dossiers individuels de chômage partiel ont été déposés par les entreprises sinistrées pour leurs employés, 92 axes routiers sont encore coupés, les accès à certaines zones commerciales restent encore inaccessibles et les conséquences sur les rendements agricoles semblent déjà désastreuses.

Ce n’est pas la première fois que la région est inondée. "Les inondations sont le premier risque naturel répertorié dans les Hauts-de-France, devant les submersions marines et le retrait-gonflement des argiles", explique auprès de Novethic Anastasia Ivanovsky, coordinatrice Observatoire Climat du Centre Ressource du Développement durable (Cerdd). Dans le Pas-de-Calais, près de 70 % des communes y sont vulnérables.  

"Par contre, son ampleur est inédite", constate auprès de Novethic Arnaud Gauthier, hydrogéologue et professeur en géosciences de l’environnement à l’Université de Lille. Il faut remonter à la crue historique de mars 2002 pour retrouver un événement comparable dans la région. "Et malheureusement cet automne, toutes les conditions étaient réunies pour qu’un événement tel que celui-ci puisse se produise".

Pas un jour sans pluie

Les causes de cette crue sont multifactorielles, mais l’une des premières explications, et certainement la plus évidente, repose sur "la très forte pluviométrie" que connaît la région depuis l’automne, tant en intensité qu’en durée. Depuis le 18 octobre dernier, les Hauts-de-France n’ont pas connu un seul jour sans pluie. À ces intempéries normales pour la saison, il faut néanmoins ajouter le passage des deux tempêtes, Ciaran et Domingos, à quelques jours seulement d’intervalle. Résultats : les terres sont engorgées. "Ces sols déjà saturés n’étaient plus en capacité d’absorber les pluies tombées ces derniers jours", résume Arnaud Gauthier. Et cette faible capacité d’absorption est accentuée par la nature argileuse des terres au pouvoir d’infiltration très faible.

D’autres facteurs expliquent également pourquoi la région est propice à ce type d’événement. "Nous nous trouvons sur une zone topographique particulièrement basse, avec des côtes quasiment au niveau de la mer, ce qui ne facilite pas l’écoulement des eaux", explique ce chercheur. En effet, la crête de l’Artois qui traverse le département, culmine à 214 mètres et n’offre aucune forte pente permettant l’évacuation rapide de l’eau, favorisant de fait la survenue d’inondation.

Des infrastructures en mauvais état

Enfin, cette vulnérabilité s’explique aussi par le fait qu’une partie de la région entre Calais, Dunkerque et Saint-Omer s’est construite sur un polder, une étendue artificielle de terre gagnée sur l’eau grâce à un réseau de watergang (ou wateringues). Ces artères essentielles permettent en effet de rejeter les eaux pluviales vers la mer et d’assécher les sols. Or elles sont aujourd’hui pointées du doigt.

Pour certains habitants et agriculteurs, ces ouvrages - stations de pompages, écluses, vannes, clapets ou encore siphon - seraient en mauvais état, faute d’entretien régulier. Comme l’a d’ailleurs fait remarquer le député du Pas-de-Calais Les Républicains Pierre-Henri Dumont lors des questions au gouvernement, mardi : "Depuis plusieurs années, nous vous alertons avec les élus locaux sur la situation catastrophique de système des wateringues, qui souffre d’un sous-investissement chronique. En réponse à nos alertes, nous n’avons obtenu de la part du Gouvernement qu’ignorance et mépris. C’est ce mépris que nous payons aujourd’hui".

Et bien que le lien entre le changement climatique et les inondations actuelles ne soit pas avéré, cette faille pèse aujourd’hui comme une épée Damoclès sur la région et ses habitants, car le risque est aujourd’hui décuplé par la montée des eaux ou la multiplication des tempêtes. 

Blandine Garot


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