Publié le 04 octobre 2022

ENVIRONNEMENT

COP27 : nourrir leur population ou préserver la planète, les États africains ne veulent plus choisir

En amont de la COP27 de Charm-el-Cheikh sur le climat, qui se tiendra en Égypte du 6 au 18 novembre prochains, un sommet de préparation se tient en ce moment à Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo. Le pays, qui détient une grande partie de la deuxième forêt tropicale au monde, a bousculé la communauté internationale en refusant désormais de choisir entre lutte contre la pauvreté et lutte contre le changement climatique. Un moyen de pointer le manque de financements des pays riches, qui donne le ton des négociations à venir.

Pre cop27 Kinshasa RDC ARSENE MPIANA AFP
Une affiche annonçant la pré-COP, à Kinshasa, du 3 au 5 octobre 2022.
ARSENE MPIANA / AFP

"Que devons-nous faire ? Exploiter nos ressources et nourrir nos enfants et nos petits-enfants ? Ou les contempler et laisser nos enfants et nos petits-enfants mourir de faim parce que nous devons protéger la planète ?" C’est avec ces termes très crus, et sous une salve d’applaudissements, qu’Eve Bazaïba, la vice- Première ministre et ministre de l’Environnement de la République démocratique du Congo (RDC) a ouvert la pré-COP27, organisée justement à Kinshasa, la capitale du pays, en amont du sommet sur le climat qui se tiendra à Charm-el-Cheikh, en Égypte, du 6 au 18 novembre prochains.

"L’Afrique se trouve dans une situation de dilemme alors que nous ne sommes responsables que de 4 % des émissions de gaz à effet de serre. Que faire dans ces circonstances ? Cela équivaudrait à dire que nous avons autant besoin d’oxygène que nous avons besoin de pain", a-t-elle lancé, toujours sous les applaudissements de la salle qui comptait une soixantaine de ministres, dont l’envoyé spécial américain pour le climat John Kerry. "Il faut aussi rappeler que tout investissement dans la préservation des forêts ne doit plus être envisagé comme une aide au développement", a ajouté Eve Bazaïba.

"Il faut éviter de tomber dans l'arbitraire"

Ce discours d’introduction donne clairement le ton des négociations qui vont se tenir jusqu’au 5 octobre, avant la COP27 de Charm-el-Cheikh, qui doit permettre de rehausser les ambitions climatiques, de mettre en place un objectif mondial sur l'adaptation et d’avancer sur le sujet des pertes et dommages. La RDC profite de cette pré-COP pour se présenter en "pays solution". Car en plus de ses ressources en minerais phares de la transition énergétique (cuivre, cobalt, lithium…), l’immense pays d’Afrique centrale dispose de quelque 160 millions d’hectares de forêt tropicale, ce qui en fait un "poumon vert" capable d’absorber le carbone et de contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique.

Une monnaie d’échange que le pays n’hésite pas à mettre sur la table des négociations afin de réclamer des financements internationaux, tout en faisant valoir son droit à exploiter son pétrole. Le Premier ministre congolais, Jean-Michel Sama Lukonde, a ainsi rappelé que certains pays européens étaient "retournés à l'usage des sources d'énergies polluantes qu'ils avaient préalablement bannies", afin de compenser le déficit d'énergie provoqué par la guerre en Ukraine. Il faut éviter de "tomber dans l'arbitraire, avec certains États libres de poursuivre, voire d'augmenter leurs émissions, et d'autres empêchés d'exploiter leurs ressources naturelles", a-t-il demandé.

La RDC avait signé à la COP26 un accord de 500 millions d’euros l’engageant à préserver ses forêts. Mais fin juillet, le gouvernement congolais a lancé un appel d’offres pour l'octroi de droits d’exploitation à 27 champs pétroliers et trois champs gaziers. Il estime le gain potentiel à plus de 640 milliards d’euros, bien loin de la promesse faite à Glasgow… "Ces blocs couvrent certaines des dernières forêts intactes sur Terre. Trois d'entre eux chevauchent l'un des plus grands puits de carbone du monde, dont on estime qu'il stocke 30 milliards de tonnes de carbone. Ce serait un désastre absolu pour le climat, la biodiversité et les populations locales", se désole Greenpeace qui a lancé une pétition contre ces projets.

1200 milliards de dollars d'ici 2030

Et la RDC ne serait pas isolée. Selon un document révélé par Euractiv, "la position commune de l’Union africaine sur l’accès et la transition énergétique pour adoption lors de la COP27 mentionne à peine les énergies renouvelables". Au lieu de cela, le document recommande une "augmentation de la production pétrolière africaine". En outre, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 48 pays africains ont conditionné la mise en œuvre de leurs plans climatiques (contributions nationales déterminées, NDC en anglais) à un soutien financier international de plus de 1200 milliards de dollars d’ici à 2030. Une somme colossale, comparée aux 100 milliards que les pays du Nord ne sont toujours pas parvenus à rassembler.

"Nous devons développer et cultiver un sentiment de confiance et de compréhension mutuelles. (...) Nous devons tous être à la hauteur de l'occasion et faire preuve de leadership, mettre de côté les intérêts nationaux étroits et apprécier le potentiel de la coopération, du compromis et des scénarios collectifs gagnant-gagnant", a déclaré la présidence égyptienne de la COP27, lors de la pré-COP à Kinshasa, appelant le monde développé à tenir ses engagements climatiques pour éviter une "crise de confiance". Celle-ci semble avoir déjà éclaté...

Concepcion Alvarez @conce1


© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

À 50 jours de la COP27 de Charm el-Cheikh, la colère des pays du Sud et les tensions diplomatiques font craindre le pire

Les difficultés s'accumulent à l'approche de la COP27 sur le climat qui se tiendra à Charm el-Cheikh, en Égypte, du 6 au 18 novembre prochains. Alors que le sommet doit permettre une relève de l'ambition climatique et la mise en place d'un objectif mondial sur l'adaptation, entre autres...

COP27 : Les pays les plus émetteurs ont échoué à revoir leurs objectifs climatiques à la hausse

Les pays les plus riches du monde, ceux qui sont les plus responsables du changement climatique, ont échoué à revoir leurs objectifs climatiques avant la COP27 de Charm el-Cheikh, en Égypte, début novembre. La plupart des pays du G20, qui représentent à eux seuls 80 % du PIB mondial, n'ont...

COP27 : le dialogue sur les pertes et dommages pour les pays du Sud est amorcé

Les représentants de près de 200 pays sont réunis jusqu'au 16 juin pour la session intermédiaire de Bonn (Allemagne), afin de préparer la COP27 sur le climat qui se tiendra en Égypte à la fin de l'année. Au menu, il y a notamment le premier Dialogue de Glasgow sur les pertes et dommages...

Les ONG s’inquiètent d’un nouveau programme de "gestion durable" des forêts en RDC

La France pourrait financer, avec la Norvège, un nouveau projet de gestion forestière durable en République démocratique du Congo à hauteur de 18 millions d’euros. Une gabegie pour les ONG qui appellent à stopper les robinets d’aide internationale car ils ne bénéficient pas aux populations...

ENVIRONNEMENT

Climat

Les alertes sur le changement climatique lancées par les scientifiques conduisent à l’organisation de sommets internationaux, à la mise en place de marché carbone en Europe mais aussi en Chine. En attendant les humains comme les entreprises doivent déjà s’adapter aux changements de climat dans de nombreuses parties du monde.

Climat istock

Giec, un modèle à bout de souffle ?

Le sixième rapport d’évaluation du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, vient d’être publié. Un évènement phare qui, au-delà du symbole, pose questions. Les rapports du Giec sont-ils trop larges et dépolitisés ? Si la nécessité d'un consensus scientifique est...

Malawi cyclone freddy AMOS GUMULIRA AFP

Le Malawi paye le plus lourd tribut au cyclone Freddy qui bat tous les records, de durée et de longueur

Le cyclone Freddy, formé début février, a fait une traversée d’est en ouest de plus de 8 000 km au-dessus de l’Océan Pacifique en six semaines. Il a frappé durement une partie de l’Afrique de l’Est effectuant même un "demi-tour" sur le Malawi où plus de 500 millions de personnes ont été frappées par...

Ouverture de la 58e session du Giec 6e rapport d evaluation 130323 IPCC Antoine Tardy

Climat : cinq questions pour tout comprendre au nouveau rapport du Giec

Du 13 au 17 mars, les scientifiques du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, sont réunis en Suisse afin d’adopter la synthèse de leur 6e rapport d’évaluation, et ainsi clore ce cycle débuté en 2015. Cette synthèse sera ensuite publiée le 20 mars et constituera le...

France tv meteo climat

Le journal de la météo et du climat : comment France 2 et France 3 réinventent le bulletin météo

Exit la vieille recette des bulletins météo sans une mention au changement climatique. Sur France 2 et France 3, le point météo devient le "journal météo climat". Une nouvelle formule qui s'inscrit dans une stratégie de transformation verte chez France Télévisions. Le journal britannique The...