Publié le 03 novembre 2015
ENVIRONNEMENT
COP21 : quand les entreprises se glissent dans la peau des négociateurs
Que feriez-vous si vous vous retrouviez dans la peau d’un négociateur à la table de la prochaine conférence climatique internationale ? Parviendriez-vous à un accord à la hauteur des enjeux ? A un mois de la COP21, l’association Global Compact France, qui rassemble un millier d’entreprises engagées dans la promotion des principes universels sociaux et environnementaux, a organisé un jeu de rôles grandeur nature pour sensibiliser les acteurs du secteur privé aux négociations climatiques. Reportage.

Global Compact France
Nous sommes le lundi 30 novembre et le président de la COP21, Laurent Fabius, vient de rappeler aux 196 parties présentes (195 pays + Union européenne) l’importance de parvenir à un accord pour limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici 2100. "Nous n’avons pas le droit à l’échec". Dans la pièce, chacun prend conscience de l’ampleur de la tâche à accomplir et se met immédiatement au travail.
On s’y croirait. Pourtant, la scène ne se déroule pas au Bourget où se tiendra la COP21 dans un mois, mais à Clichy, au Beeotop, un espace de coworking spécialisé dans l’économie sociale et solidaire. Et le rôle de Laurent Fabius est endossé par Charles-Adrien Louis, le co-fondateur et directeur général du cabinet B&L évolution et président d’Avenir Climatique, une association qui organise avec deux associations étudiantes, CliMates et le Refedd, des simulations des négociations internationales sur le climat. Le temps d’une après-midi, le 27 octobre, ce sont une trentaine de responsables chargés de la RSE au sein de grands groupes, d’entrepreneurs spécialisés dans les questions climatiques ou de membres d’associations qui se sont cette fois glissés dans la peau des négociateurs professionnels qui travaillent à la rédaction d’un accord international pour le climat.
Charles-Adrien Louis, ingénieur, est là pour animer le jeu de rôles et rappeler à chacun les enjeux de la COP21. Photo : Global Compact France
C’est le Global Compact France qui a organisé ce jeu de rôle. Un pari pour cette organisation onusienne qui rassemble un millier d’entreprises engagées dans la promotion des principes universels sociaux et environnementaux. Mais qui prend tout son sens quand l’on sait que les entreprises sont appelées (et répondent) par l’ONU à contribuer elles aussi à la lutte contre le changement climatique. "J’avais entendu parler de ces jeux de simulation uniquement réservés aux étudiants. Je me suis dit que les entreprises pouvaient également y trouver un intérêt", pour mieux comprendre les rouages et les enjeux d’une conférence qui peut paraître éloigné de leur quotidien mais qui impacte pourtant la stratégie de leurs entreprises, explique Charlotte Frérot, secrétaire générale de l’association. De fait, faire venir ces responsables à l’agenda très rempli n’a pas été particulièrement facile. "Ce n’était pas directement en lien avec leur mission ou le business. Il s’agit plus de culture générale", souligne-t-elle.
Pourtant, pour Jeremy Meyer, consultant pour le cabinet de conseil Lipton Fit, spécialisé dans la finance, il n’a pas été difficile de convaincre ses supérieurs. La COP21 constitue un "tournant", explique-t-il. "Nous avons pris conscience que le changement climatique allait fortement impacter notre secteur et les portefeuilles de nos clients. Certains nous demandent déjà des conseils et des informations sur ces questions. Nous devons donc être au fait de l’actualité climatique et nous préparer à de nouvelles réglementations. En cela, l’accord de Paris va nous montrer la voie à suivre". Et le jeu de rôle va lui montrer toute la difficulté de l’exercice.
Plonger au cœur de la complexité des négociations
Dans la salle de réception, aux murs de bambou et aux ruches colorées accrochées ici et là, qui s’est transformée en centre de conférence, les négociateurs d’un jour sont répartis entre six groupes de pays - la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, l’Union européenne, les autres pays développés et les autres pays en développement. Pour assumer pleinement leurs nouvelles fonctions, ils ont reçu un brief rapide et quelques données clés sur les positions des pays qu’ils sont censés défendre. La délégation des Etats-Unis doit garder en tête que le pays n’agira pas sans un engagement contraignant de la part des pays en voie de développement, et en particulier de la Chine. La Chine qui se prépare quant à elle à défendre coûte que coûte le développement économique du pays comme priorité.
Le contexte posé, les arguments de chacun affinés, les négociations peuvent débuter. Trois rounds sont prévus. Et les délégués prennent leur rôle à cœur. Quand la Chine présente des objectifs très peu ambitieux et annonce vouloir bénéficier des fonds climat à hauteur de 20 milliards de dollars, c’est la bronca dans la salle de conférence. A l’issue de ce premier round des négociations, l’accord semble bien loin. Les participants font même moins bien que les négociateurs réels. Leurs engagements conduisent à une hausse de la température de plus de 3°C, contre 2,7°C dans la réalité si l’on en croit les estimations des instituts les plus sérieux.
L'Union européenne est venue négocier à la table des autres pays développés sur leur participation aux financements climat. Photo : Global Compact France
Chacun est donc prié de revoir sa copie. D’autant que les pays en développement ont en partie été submergés et des milliers de réfugiés affluent vers les continents européen et nord-américain. Les pays du Sud regrettent que les fonds qui leur ont été promis ne soient pas suffisants. Au Beetop, les esprits s’échauffent, les armes s’affutent. Nouveaux engagements des pays développés et nouvel échec. Les pays en développement, déçus, décident de réduire leurs efforts d’atténuation. Il faut les ramener à la table des discussions. Mais la pression est à son comble : il ne reste plus qu’un jour de négociation, les projecteurs des médias sont braqués sur eux et la société civile craignant un nouvel échec est déjà mobilisée à l’extérieur.
Un jeu de rôles pédagogique
A l’issue de l’exercice, les participants sont ravis de l’expérience. "Je n’imaginais pas que cela pouvait être si complexe", réagit Véronique Fizelson, co-fondatrice de l’agence d’événementiel Inspirience qui emploie des personnes en situation de handicap. "Incarner la Chine n’était pas non plus un exercice facile, nous étions assez cyniques et binaires".
"Cette simulation nous permet de comprendre les limites de l’exercice et de mieux appréhender les problématiques et les enjeux pour chacun des pays", commente Sophie Sevestre, directrice Relations Clients, RSE et qualité au sein de Par-s-on Assistance, une entreprise spécialisée dans l’accueil en entreprise, membre du Global Compact France. "On voit vraiment que les négociations dépassent de loin les enjeux techniques et qu’ils sont en fait davantage humains, économiques et sociaux", renchérit sa collègue Nathalie Fèvre, consultante Qualité.
Après cette simulation, elles suivront de près les négociations, affirment-elles. Mais surtout, elles réfléchissent maintenant à la façon de diffuser ce qu’elles ont appris autour d’elles. "Ce qui m’intéresse dans ce genre d’événements c’est de propager les bonnes pratiques, les bonnes idées, explique Sophie Sevestre. Au sein de notre entreprise mais aussi auprès de nos clients qui ont les moyens et les structures adéquates pour les mettre en œuvre".
La conférence du Beeotop s’est conclue par un échec. "Mais l'objectif était justement de montrer à quel point il est difficile de négocier et qu’il ne s’agit pas seulement de mauvaise foi. Il faut un changement de paradigme et pas seulement quelques mesurettes", assure Charles-Adrien Louis. Malgré les efforts consentis par chacun lors du dernier round, la hausse de la température d’ici 2100 augmentera de… 2,8°C. Loin de l’objectif des 2°C. "Personne n’a jamais réussi à les atteindre, pas même les jeunes écolos !", précise le facilitateur. Un constat qui n’a malheureusement rien de rassurant…