Publié le 08 décembre 2015

ENVIRONNEMENT
COP21 : Comment s'y retrouver dans la jungle des coalitions d'entreprises sur le climat ?
Tout au long de la première semaine de la COP21, les engagements d'entreprises se sont multipliés dans le cadre des journées thématiques du Programme d’Actions Paris-Lima (LPAA). Des journées organisées en marge des négociations mais au sein même de la zone dédiée aux délégués des pays et des observateurs. Une manière de mettre en relation le secteur public et le secteur privé pour lutter plus efficacement contre le changement climatique. La journée du 8 décembre en était le point d'orgue. L'occasion de révéler les derniers engagements du secteur privé. Mais surtout de faire le point sur les nombreuses coalitions d'entreprises qui se constituent aujourd'hui autour des questions climatiques.

Jonathan Raa - AFP
Au Bourget, les 7 et 8 décembre, deux journées entières étaient consacrées à Caring for climate (littéralement "Prendre soin du climat") en marge des négociations sur l'accord international sur le climat. Une façon de mettre en lumière la plus grande coalition mondiale d’entreprises engagées sur le climat, d'autant que cette dernière fait partie de la grande famille onusienne.
Caring for Climate est en effet membre de l’organisation du Global Compact (Pacte mondial en français), lancée par les Nations Unies il y a quinze ans. Le Global Compact vise à pousser les entreprises du monde entier à adopter une attitude socialement responsable en s'engageant à intégrer et à promouvoir plusieurs principes relatifs aux droits de l'homme, aux normes internationales du travail, à la lutte contre la corruption et à la protection de l’environnement. Il compte aujourd’hui 8 000 entreprises, dont 450 sont particulièrement engagées sur la question climatique. Ce sont ces dernières qui sont réunies dans Caring for climate.
Originaires de 65 pays et représentantes de 35 secteurs économiques différents, les 450 entreprises qui adhèrent à l'initiative s'engagent à définir des objectifs précis pour réduire leur empreinte carbone, à rendre compte de leurs progrès au travers des reporting annuels (vérifiés par des auditeurs externes), et à travailler avec les gouvernements pour stimuler les politiques climatiques. L'initiative a permis une réduction des émissions de CO2 de 12 % par rapport à 2013. Mais si l'on cumulait tous les nouveaux objectifs pris et qu'ils étaient effectivement atteints, ce sont près de 93,6 millions de tonnes d’équivalent-CO2 qui pourraient être évitées. C'est plus que les émissions annuelles du Pérou. Mais Caring for Climate chapeaute également plusieurs coalitions d’entreprises engagées sur des thématiques plus précises que le climat au sens large.
Des objectifs alignés avec les 2°C
114 firmes ont par exemple décidé d’aller plus loin en alignant leurs objectifs chiffrés avec la trajectoire d’un réchauffement global sous les 2°C. C’est le sens de l'initiative Science based targets également portée par l’ONG WWF, le World Resources Institute (WRI) et le CDP (ex-Climate Disclosure Project). Ce dernier ayant établi une méthodologie permettant de définir des objectifs adaptés par entreprise sur la base des budgets carbones disponibles secteur par secteur.
Parmi ces 114 entreprises, dix ont déjà vu leurs objectifs approuvés, en ligne donc avec les 2°C. Il s’agit de Coca-Cola Enterprises, Dell, Enel, General Mills, Kellogg, NRG Energy, Procter & Gamble, Sony, et Thalys. Au total, ces 10 entreprises devraient réduire leurs émissions de 799 millions de tonnes de CO2 jusqu’à ce que leurs objectifs arrivent à échéance, ce qui équivaut environ à 1,86 milliard de barils de pétrole non brûlé.
"En qualité de société d’énergie mondiale, Enel est prête à défier les pratiques commerciales courantes et à prendre les devants en ce qui concerne la transformation de l’infrastructure énergétique. Nous nous engageons à parvenir à un bilan neutre en carbone d’ici à 2050. Cela s’avère conforme au niveau de décarbonisation requis pour limiter le réchauffement mondial à 2 degrés", déclare ainsi son PDG Francesco Starace.
La prise en compte du risque climatique dans une optique de responsabilité fiduciaire
Autre exemple avec le Statement of fiduciary duty and climate change disclosure, du Climate Disclosure Standards Board. A ce jour, 140 sociétés -d’une capitalisation boursière totale de plus de 100 milliards de dollars - et 31 investisseurs institutionnels avec des actifs estimés à 2 500 milliards de dollars - s’engagent à intégrer le risque climatique dans une perspective de responsabilité fiduciaire.
"Les marchés financiers ne prennent pas suffisamment en compte la performance des entreprises agissant contre le réchauffement global, ni les risques ou les opportunités liées au climat, des informations pourtant précieuses pour les futurs actionnaires, mais qui sont souvent inexistantes ou incomplètes", explique Joanne Yawitch, PDG de National Business Initiative, en Afrique du Sud et porte-parole du mouvement à la COP21.
Améliorer la transparence
Une autre initiative, Responsible Corporate Engagement in Climate Policy, porte sur le lobbying des entreprises dont les discours publics ne sont pas toujours en cohérence avec leur activité auprès des décideurs politiques et avec les messages portés par les associations professionnelles auxquelles elles adhèrent. 114 entreprises du monde entier ont décidé de mettre en place des procédures d’audit internes sur toutes les activités pouvant influencer les politiques climatiques.
Priorité au prix carbone
Enfin, la Carbon Business Leadership coalition s’est spécialisée sur la question du prix carbone. 64 PDG, représentant un chiffre d’affaires annuel de 1 900 milliards de dollars, s’engagent ainsi à intégrer un prix interne du carbone dans leurs stratégies entrepreneuriales à long terme et leurs décisions d’investissements, et à rendre compte de leurs progrès tous les ans.
Le prix carbone a quant à lui fait l’objet pendant près d’une heure d’une discussion avec la centaine de chefs d’entreprise présents au Bourget ce 8 décembre. L’objectif était notamment de trouver un consensus sur une fourchette pour ce prix carbone. "En sachant qu’en-dessous des 100 dollars la tonne, l’efficacité d’une telle mesure n’est pas garantie", précise Lila Karbassi, responsable Environnement et Climat au sein du Global Compact. Mais quant il est question de montant précis, la grande coalition se fissure.
Patrick Pouyanné, le PDG de Total, par exemple est très clair sur ce point : il est opposé à un prix de la tonne à 100 dollars "qui ne serait pas efficace" estime-t-il. "Il faudrait plutôt un prix autour de 30 à 40 dollars la tonne". Signe que la question va continuer à faire débat, au-delà des négociations officielles qui n’ont pas inclus le sujet dans le texte de l’accord de Paris.
Des coalitions nationales
A côté de ces initiatives, d'ampleur internationale, bien d'autres se sont également formées au niveau national. Leur bilan a également été annoncé lors des journées Business (BINGO) de la COP21. Le Secrétaire d’État américain John Kerry a ainsi pu annoncer que plus de 154 entreprises américaines ont adhéré à l'initiative de la Maison Blanche, l’American Business Act on Climate Pledge. Un chiffre qui a doublé ces deux derniers mois.
Côté français, Jean-Pierre Clamadieu, PDG de Solvay, a rappelé que 39 entreprises hexagonales se sont rassemblées autour du Manifeste des entreprises françaises pour le climat. Leurs contributions financières s'élèvent à 170 milliards d’euros sur les 5 prochaines années pour la recherche, l’investissement et le financement des technologies bas-carbone, incluant le nucléaire et le gaz naturel.
Enfin, il faut également compter sur les nombreux engagements d’entreprises pris à titre individuel. La plateforme Nazca en rassemble plus de 2000, dont une vingtaine ont été prises pendant la COP21. Reste maintenant à vérifier que toutes ces belles ambitions climatiques seront bel et bien concrétisées.