Publié le 07 novembre 2023
ENVIRONNEMENT
BP, Exxon, Chevron, Shell : dix compagnies pétrolières seront jugées à Hawaï pour "tromperie climatique"
Un procès aura bien lieu. La Cour suprême de l’archipel d’Hawaï instruira le procès intenté par la ville d’Honolulu contre dix sociétés pétrolières, dont Exxon Mobil, Shell et Chevron, pour "tromperie climatique". Une décision majeure qui intervient trois mois à peine après les incendies qui ont ravagé une grande partie de l’île de Maui et entraîné la mort de 97 personnes.

USTIN SULLIVAN GETTY IMAGES NORTH AMERICA AFP
Les incendies meurtriers de cet été, sur l’île de Maui dans l’archipel d’Hawaï, qui ont tué 97 personnes, ont sans aucun doute dû influencer la décision des juges. Le 31 octobre, la Cour suprême d’Hawaï a en effet décidé de rejeter l’appel des géants pétroliers américains. Ces derniers demandaient à abandonner le procès pour "tromperie climatique" intenté contre eux par l’État d’Hawaï en 2020. Parmi les compagnies poursuivies, on trouve notamment BP, Chevron, Shell, Exxon Mobil, ConocoPhillips, Sunoco et Aloha Petroleum.
En mars 2020, des responsables de la ville et du comté d’Honolulu, situé à une centaine de kilomètres de Maui, avaient décidé de poursuivre dix grandes compagnies pétrolières les accusant d’être au courant depuis des décennies des dangers climatiques liés à la combustion du charbon, du pétrole et du gaz et d'avoir sciemment caché ces informations aux consommateurs et aux investisseurs.
La désinformation dans le viseur de la justice américaine
Ce que démentent formellement les compagnies poursuivies. Bien qu’elles ne nient pas que le changement climatique est "une question extrêmement importante et de la haute préoccupation publique", elles jugent que cette nouvelle action en justice n’est qu’un procès parmi d’autres "visant à réglementer les émissions de gaz à effet de serre interétatiques et internationales". Des propos rectifiés par le juge de la Cour suprême d’Hawaï Mark Recktenwald, qui assure que ce procès vise bien "à contester la promotion et la vente de produits à base de combustibles fossiles sans avertissement et encouragée par une campagne de désinformations sophistiquée".
Les incendies d'août dernier sont venus "souligner l’importance d’un tel litige", note auprès du Guardian Denise Antolini, professeur de droit à l’université d’Hawaï, car "si la vérité avait été connue sur le changement climatique, si les grandes sociétés pétrolières avaient permis que la vérité soit connue, Hawaï aurait pu avoir un avenir différent". Ce que confirme également Naomi Oreskes, professeur à l’université d’Harvard et auteur du livre "Les marchands de doute", dans le Hawaii Tribune Herald : "depuis des décennies, l’industrie des combustibles fossiles s’efforce de saper la compréhension scientifique du changement climatique et de ses effets néfastes", explique-t-elle.
Les compagnies pétrolières "y sont parvenues à plusieurs reprises", affirme-t-elle. La réaction de l’avocat de l’American Petroleum Institut, un des lobbies américains de l'industrie pétrolière, après les incendies de Maui est en cela symbolique. Les incendies ont été "une tragédie mais leur cause immédiate fait toujours l'objet d’une enquête", avait-t-il alors déclaré.
"L'un des procès climatiques les plus importants du pays, voire du monde"
Ce procès d’Honolulu risque bien d’accélérer la machine judiciaire en devenant le premier à être jugé. Pour Corey Riday-White, directeur du Center for Climate Integrity, "il est désormais l'un des procès climatiques les plus importants du pays, voire du monde" car il apporterait les preuves que ces compagnies pétrolières "sont responsables de milliards de dommages climatiques".
The Hawaii Supreme Court has REJECTED Big Oil’s move to toss Honolulu’s climate deception lawsuit. The case will now proceed to trial.
It’s time for Big Oil to face the evidence of their climate lies in court and pay for the damage they’ve caused. https://t.co/JcCpdSAGJz— Center for Climate Integrity (@climatecosts) October 31, 2023
Cette décision pourrait en effet ouvrir la voie à d’autres procès sur le même motif, celui de mentir sur la crise climatique. Aux États-Unis, une vingtaine de poursuites similaires ont notamment été intentées dans le Massachusetts, le Connecticut, la Californie ou le Rhode Island au cours de ces six dernières années. Mais aucune n’a toutefois encore été jugée, car elles se retrouvent souvent enlisées dans des querelles procédurales.