Publié le 14 juin 2023
ENVIRONNEMENT
Affaire du siècle : ce que cache l'astreinte de 1 milliard d'euros que les ONG réclament à l'État
L'Affaire du siècle, lancée fin 2018, se poursuit. Après une condamnation de l’État en 2021, les ONG demandent ce mercredi 14 juin au tribunal administratif de Paris de prononcer une astreinte financière de plus d'un milliard d'euros afin de le contraindre à agir. Selon les ONG, la baisse récente des émissions dont se félicite le gouvernement ne traduit pas une politique climatique ambitieuse.

@Emeric Fohlen / L'Affaire du Siècle
1,1 milliard d’euros. Une somme qui peut surprendre. "Elle peut en effet sembler disproportionnée. Mais nous sommes loin des montants qu’il faudrait investir chaque année pour répondre à l’urgence climatique", argumente Cécile Dufflot, la présidente d’Oxfam France lors d’une conférence de presse. Ce mercredi 14 juin, les associations de l’Affaire du siècle - dont Oxfam France, Greenpeace et Notre affaire à tous - ont déposé un nouveau moratoire auprès du tribunal administratif de Paris afin de faire condamner l’État à verser une astreinte financière de plus d’un milliard d’euros.
Depuis cinq ans, les ONG bataillent pour que l’État prenne des mesures structurantes afin de lutter efficacement contre le changement climatique. "Mais malgré deux condamnations, nous n’avons pas avancé, constate Cécile Dufflot. C’est pour cela que nous franchissons une nouvelle étape aujourd’hui et que nous sommes plus virulents." Le gouvernement avait en effet jusqu'au 31 décembre pour réparer le préjudice climatique qu'il a causé entre 2015 et 2018 et pour lequel il a été condamné dans l'Affaire du Siècle en 2021.
Un montant en réalité sous-estimé
Pour les ONG, qui dénoncent l'inaction du gouvernement, il s’agit de frapper fort. Pour établir le montant de l'astreinte à 1,1 milliard d’euros, elles se sont appuyées sur la méthode Quinet, dite aussi de "la valeur de l’action pour le climat", définie en 2008 et 2019 par une commission d’expertise présidée par Alain Quinet, alors économiste au sein du cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Cette valeur augmente de 8,17 euros la tonne de CO2 par semestre.
Depuis le début de l’Affaire du siècle en 2019, neuf semestres se sont écoulés. Le dépassement du budget carbone par l’État est par ailleurs estimé à 15 millions de tonnes de CO2 équivalent. Cela donne pour chaque semestre de retard, un effort financier supplémentaire de 122,5 millions d’euros par semestre (15 millions x 8,17), soit 1,1 milliard d’euros au total.
"Si l'l’État avait agi dès le 1er janvier 2019, celui lui aurait coûté zéro euro. Mais plus le temps passe, plus ça va lui coûter cher, car plus le temps passe, plus le coût de l'inaction climatique augmente. Nous lui faisons en quelque sorte payer les intérêts de la dette écologique qu'il creuse", détaille auprès de Novethic Pierre Terras, chargé de campagne énergie climat au sein de Greenpeace.
"Nous nous sommes appuyés sur le rapport Quinet car le rapport Pisany Ferry Mahfouz n'avait pas encore été publié. Or celui-ci estime quant à lui à 66 milliards d’euros supplémentaires par an les investissements nécessaires pour des politiques publiques à la hauteur. Dès lors, notre demande paraît bien faible au regard de ces nouvelles données", complète également Cécile Dufflot. "Mais c’est le tribunal qui décidera". Il devrait rendre sa décision dans six à douze mois.
Baisse des émissions en 2022
Quoiqu’il en soit, cette demande d’astreinte financière n’a in fine qu’une valeur symbolique, car le but, rappellent les ONG, c’est bien de contraindre l’État à agir. "La baisse récente des émissions de gaz à effet de serre (-2,7% en France en 2022 par rapport à 2021, selon les derniers chiffres provisoires publiés par le Citepa, ndr), dont se réjouit le gouvernement, n’est pas due à l’action de l’État mais à des effets conjoncturels, crise du Covid, guerre en Ukraine et hiver particulièrement doux", énumère Pierre Terras. "Nous assistons plutôt à une série de reculades et beaucoup de coups de com’".
De leur côté, les ministres de la Transition énergétique et écologique, Agnès Pannier-Runacher et Christophe Bechu disent maintenir le cap : "Notre pays tient ses engagements de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre". Ils ajoutent : "Le gouvernement est confiant dans le fait que les bonnes performances françaises en termes d'émissions de gaz à effet de serre permettront de réparer le préjudice écologique né du dépassement du premier budget carbone (2015-2018) sous le mandat de François Hollande", ont-ils pointé.
Selon le Citepa, sur la période 2019-2022, la moyenne des émissions est estimée à 410 Mt CO2, en-dessous en effet du seuil fixé par la stratégie nationale bas-carbone. Mais ce budget carbone avait été revu à la baisse par rapport à l'ambition initiale (399 Mt CO2e par an) en 2020. "Ce n'est donc pas vraiment à la hauteur des enjeux, le gouvernement crée un endettement climatique", martèle encore Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à tous.