Publié le 11 mai 2016
ENVIRONNEMENT
Madagascar : Rio Tinto verdit son activité minière sur le dos des plus pauvres
A Madagascar, le groupe minier Rio Tinto s'est engagé de manière volontaire à compenser les dégâts environnementaux de ses activités extractives. L'industriel entend même montrer que sa présence sur l'île a un impact positif sur la biodiversité. Un récent rapport de deux ONG dénonce les impacts sociaux de cette logique, qui se fait selon elles au détriment des plus pauvres.

Frans Lanting / Frans Lanting Stock / Mint Images
Depuis fin 2008, une filiale de Rio Tinto exploite une nouvelle mine d’ilménite (un mélange de fer et de titane) au sud-est de Madagascar. Les 40 ans d'exploitation minière à venir vont détruire environ 1700 hectares de forêt littorale. Or, cette forêt abrite des dizaines d'espèces endémiques menacées à Madagascar. Pour contrebalancer les impacts environnementaux de sa mine et verdir son activité, le groupe a choisi de monter l'un de ses plus gros projets de compensation écologique.
De l'argent pour les aires protégées
La QIT Madagascar Minerals (QMM, détenue à 80% par Rio Tinto) met ainsi en œuvre une stratégie élaborée en partenariat avec l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui cible un "impact positif net" sur la biodiversité. Autrement dit, en réduisant l'impact de ses activités, en restaurant les milieux détruits et en protégeant des surfaces équivalentes à la mine, Rio Tinto affirme que "la région bénéficie au final de sa présence" d'un point de vue écologique.
6000 hectares (ha) d’écosystèmes forestiers similaires à ceux endommagés ont été sélectionnés. Rio Tinto a ensuite contribué au classement de ces espaces en aires protégées par l’État malgache et en assure aujourd'hui le financement.
Le gouvernement malgache, qui détient 20% de QMM, compte sur ces fonds privés pour financer la protection de la nature, en mal d'argent dans la grande île. "Les projets de compensation sont une des nouvelles sources de financement pour les aires protégées à Madagascar", explique Cécile Bidaud, chercheuse à la Bangor University au Pays de Galles, qui travaille sur les impacts sociaux des projets de compensation écologique à Madagascar.
Deux ONG internationales, the World Rainforest Movement (WRM) et Re:Common, noircissent pourtant le tableau de ce projet emblématique. Publiée en mars 2016, leur enquête montre que, en interdisant l'accès à des centaines d'hectares de forêt, le projet de compensation au sein de l'aire protégée Tsitongambarika rend la vie des populations locales encore plus précaire.
Protection... et répression
"La présence de l’entreprise QMM ne nous bénéficie en rien, parce que la mine est là-bas et elle ne nous rapporte rien. Ici, nous n’avons qu’un gros problème : nous ne pouvons plus planter du manioc sur la montagne. Quelques personnes du village ont participé à la plantation d’arbres, et on leur a payé 3 000 ariary [1 euro] par jour. Le manioc qu’il nous faut pour nourrir notre famille coûte 6 000 ariary [2 euros] par jour, alors vous voyez bien que c’est un problème", témoigne l'une des personnes interrogées.
L'UICN pointait déjà le risque de pénaliser les plus pauvres dans un rapport de 2012. L'organisation soulignait la nécessité de faire participer les populations locales à la conservation des forêts. Mais les réalisations n'ont pas été à la hauteur des enjeux, selon les ONG. "Les plus pauvres vivent en lisière de forêts, et ont plus de risque d'être réprimés pour un accès devenu illégal à la forêt, et moins de chance d’être touchés par un projet de développement", explique Cécile Bidaud.
Le problème de la place des populations locales dans les politiques de conservation de la nature n'est pas nouveau. Mais l’intervention de grands groupes miniers renforce la marginalisation de ces populations au profit de mesures de compensation destinées principalement au verdissement de l'activité minière, selon le plaidoyer des deux ONG.
Les forêts littorales détruites avec ou sans mines ?
"Il s’agit d’une tactique qui a été bien décrite dans la littérature scientifique : elle consiste à détourner l’attention du caractère destructeur de l’environnement d’une grande entreprise et à se centrer sur les communautés locales – qui ont dépendu de la forêt des décennies durant – en tant que 'l'Autre' destructeur de l’environnement", peut-on lire dans le rapport. Cette critique rejoint une question soulevée par certains experts : le principe de compensation développé par QMM considère que, même en l'absence d'extraction minière, les forêts littorales auraient été détruites par les activités des populations locales. Un diagnostic discutable, d'autant plus que le taux actuel de destruction des forêts, déjà difficile à évaluer, est utilisé pour calculer la compensation sur les 40-50 années que durera l'exploitation du gisement.
Enfin, au-delà des dynamiques sociales, des écologues critiquent aussi le peu de critères utilisés pour justifier l'équivalence écologique entre les zones détruites et les zones protégées.