Publié le 18 août 2023
ENVIRONNEMENT
Une première en France : les îles Loyauté donnent une personnalité juridique aux tortues et aux requins
C’est inédit en France. En Nouvelle-Calédonie, les îles Loyauté ont accordé un statut "d’entité naturelle juridique" à deux animaux totems de la culture Kanak, la tortue et le requin. D’autres espèces pourraient même très prochainement allonger la liste… afin de mieux protéger une biodiversité en déclin.

Photo de Aleh Tsikhanau sur Unsplash
Un grand pas dans la protection de la biodiversité. Dans la province des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie, les tortues et les requins pourront défendre leurs droits et intérêts au tribunal. Le 29 juin dernier, ces deux animaux totems dans la culture Kanak ont obtenu le statut d’ "entité naturelle juridique". Il s’agit d’une première dans un territoire français.
"Cette décision fait rentrer cet archipel dans l’histoire du droit de l’environnement", s’est réjoui auprès de Novethic Victor David, juriste et chercheur en droit de l’environnement à l’Institut de recherches et de développement (IRD) qui accompagne les îles Loyauté dans l’élaboration de son code de l’environnement. "C’est la première fois que des espèces, dans toutes leurs diversités, sont reconnues comme des sujets de droits". Si cette province a pu adopter ce texte alors qu'elle est sous dépendance française, c'est que la réglementation environnementale reste une compétence locale.
"Le principe unitaire de vie"
Dès 2016, la province des îles Loyauté a reconnu des droits à la nature dans son code de l’environnement, dont le "principe unitaire de vie". Ce dernier permet "à certains éléments de la nature de se voir reconnaître une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres". Car "pour le peuple Kanak, il n’y a pas de différence entre les hommes et la nature, il était donc important de ne pas faire un copier-coller d’un droit qui ne reflétait pas leur culture", explique Victor David. Pour ce chercheur de l’IRD, ce nouvel amendement ouvre à présent la voie pour d’autres espèces marines, ou terrestres, mais également des espaces naturels de la province des îles, comme par exemple certains îlots. "Mais toute la nature ne sera pas sujet de droit pour autant", nuance-t-il.
Le droit actuel protège déjà certaines espèces mais "il est clairement insuffisant à la fois parce qu’il n’est pas appliqué mais aussi parce que les autorités ont le pouvoir de revenir dessus", explique Victor David prenant de la province Sud. Malgré l'inscription des requins-bouledogues sur la liste des espèces protégées, les pouvoirs publics n’ont pas hésité à ordonner leur abattage suite à l’augmentation d’attaques au large de Nouméa, région très prisée des touristes. "Il s’agit d’une vision très européenne, explique le chercheur, car nous protégeons l’animal tant qu’il n’empiète pas sur le territoire occupé par l’Homme".
Ce que confirme auprès de Novethic Marine Yzquierdo, membre du conseil d’administration de Notre affaire à tous, spécialiste du droit de l’énergie et de l’environnement. "Dans notre droit, l’homme et ses intérêts sont souvent placés au centre, la nature n’étant perçue que pour sa valeur marchande. Mais lorsque que l’on décide d’accorder des droits à une entité naturelle, on ne subordonne plus sa défense aux intérêts humains". Pour cette avocate au barreau de Paris, il ne s’agit surtout pas de substituer les droits de la nature au droit de l’environnement mais "de compléter ce dernier afin de pouvoir mettre en balance des intérêts humains et non humains". La justice devra donc procéder à un arbitrage entre les intérêts de chacun.
Vers une meilleure protection de la biodiversité
C’est pour cette raison que les requins et les tortues marines vont pouvoir dès à présent être défendues, via des porte-paroles, en tant qu'entités et non plus uniquement au nom d’un intérêt écologique. Et ce nouvel amendement leur confère le plus haut degré de protection. Ils sont désormais protégés en cas d’atteintes personnelles ou contre leur habitat et ont également des droits et des intérêts qui leur sont propres. "En cas de violation et d’atteinte grave, la sanction pénale prévue est calquée sur le délit d’écocide", précise Victor David. Pour Marine Yzquierdo de Notre affaire à tous, "les sanctions devront être graduées et proportionnées en fonction des atteintes à la nature qui auront été commises car le délit d'écocide ne couvre pas toutes les hypothèses".
Concernant son application concrète, le chercheur rappelle qu’il sera très difficile de savoir comment le juge va appliquer pour la première fois cette nouvelle règle, faute de précédents. Il devra donc s'appuyer sur le texte de la province des îles et faire preuve d’ouverture d’esprit. Néanmoins, cela reste "une solution pertinente pour assurer une meilleure protection de la biodiversité", tient à souligner Victor David. Précisant que ce droit pourrait même "être étendue en France et dans le monde". À ce jour, seuls quelques pays d'Amérique latine et l'Inde ont reconnu une personnalité juridique à certains animaux.