Publié le 16 février 2016
ENVIRONNEMENT
Biodiversité : que font vraiment les entreprises ?
Alors que la loi sur la biodiversité va repasser devant l’Assemblée nationale mi-mars, comment les entreprises prennent-elles concrètement en compte la biodiversité dans leur stratégie ? A l'heure des tâtonnements, certaines cherchent à donner plus de visibilité à leurs actions, notamment auprès du grand public. Le nouveau label Ecocert va les y aider. Décryptage.

Bertrand Bodin / Only France
Ours polaires, tigres en voie de disparition... Voilà à quoi renvoie la notion de biodiversité pour le grand public. Difficile alors pour les entreprises de communiquer sur leurs actions pour la sauvegarde des abeilles ou d’un écosystème en Lozère. Et ce alors même que leurs parties prenantes – fournisseurs, clients, ONG ou grand public – sont demandeurs de plus d’informations sur ces sujets et les mesures prises pour y remédier.
Voilà pourquoi Ecocert, organisme de contrôle et de certification, vient de lancer une nouvelle certification "engagement biodiversité", qui certifie que la biodiversité est bien présente dans la stratégie des entreprises et des territoires.
Six entreprises pilotes (1) ont été labellisées. La plupart d’entre elles étaient déjà certifiées ISO 14 001, norme internationale qui définit une série d'exigences spécifiques à la mise en place d'un système de management environnemental. Mais avec peu de lisibilité pour le grand public. Au contraire, ce nouveau label table sur un effet "tampon" plus facilement identifiable.
Une responsabilité vis-à-vis de l’activité
Parmi les entreprises certifiées, la société autoroutière Sanef, qui exploite plus de 2 000 km d’autoroutes en Normandie, dans le Nord et l’Est de la France. Et qui dispose de quelque 7 000 hectares d’espaces naturels aux abords des autoroutes appelés "dépendances vertes". Dès 1992, le groupe a mis en place son premier plan environnement. Et pour cause, les autoroutes ont un effet majeur sur l’environnement. La construction de routes détruit et fragmente des espaces naturels ou des terres agricoles, les voitures émettent des gaz à effet de serre et autres gaz polluants...
En 2010, Sanef engage un audit biodiversité. Plus de 40 sites sont étudiés en deux ans et un plan d’action mis en place. Pâturage extensif de moutons sur l’A16, corridors pour la faune et la flore, vergers conservatoires sur l’A29 et bassins de confinement au bord de l’A4, le concessionnaire multiplie les mesures pour préserver la biodiversité. Il faut dire que 20% de son réseau traverse des espaces naturels protégés.
La certification d’Ecocert, obtenue en 2015, constitue la cerise sur le gâteau. "Nous avions déjà fait une grosse partie du chemin, explique Guillaume Maréchal. Mais le référentiel d’Ecocert nous sert d’outil de pilotage. Il a permis d’une part, de récompenser le travail effectué depuis des années et d’autre part, de structurer toutes nos actions, d’avoir une politique claire, avec des objectifs inscrits dans la durée, et de donner du sens à ce qu’on fait aussi bien en interne, pour motiver les équipes, qu’en externe, en expliquant au grand public ce qu’on met en place."
Et c’est sur ce dernier point que l’entreprise pèche le plus. "Cela ne faisait pas partie de nos axes de communication traditionnels à destination de ce type de parties prenantes, souligne le responsable, alors que nos clients peuvent être intéressés". Il a ainsi été surpris par le succès du parcours dédié à la richesse de la biodiversité de la vallée de l'Oise mis en place sur une aire de repos de l’A1. "Les automobilistes se sont parfois arrêtés une heure pour le découvrir."
L’empreinte biodiversité, une mesure encore complexe
Le dialogue avec les parties prenantes est ainsi l’un des axes valorisés par Ecocert dans sa labellisation. Fruit d’un travail de deux ans, mené avec un comité technique d’experts, le référentiel s’appuie sur sept critères au total, dont la prise de conscience de la dépendance à la biodiversité, la dynamique d’amélioration continue et surtout la mesure de l’empreinte biodiversité "avec l’objectif d’arriver un jour à un reporting biodiversité sur le modèle du reporting carbone", explique Laurent Croguennec, directeur général d’Ecocert Environnement.
Seulement, pour l’instant, il reste bien difficile de mesurer les impacts sur la biodiversité. L’organisme a pris le parti de travailler sur les cinq facteurs d’érosion (Conférence de Rio, 1992) que sont la dégradation des habitats et les continuités écologiques ; la pollution des écosystèmes ; la surexploitation des ressources naturelles ; l’introduction d’espèces invasives et le changement climatique.
"C’est toute la limite de l’exercice, estime Sylvain Boucherand, du cabinet de conseil BL-evolution, spécialisé dans la biodiversité, et membre du comité technique d’Ecocert sur la certification. Ici on s’intéresse davantage à la démarche faute d’indicateurs. C’est une très bonne première étape mais il va falloir aller plus loin. La difficulté par rapport au climat c’est que dans le cas de la biodiversité, l’impact n’est pas le même selon l’endroit où l’on se situe alors qu’une tonne de CO2 émise vaut partout la même chose. La démarche est plus complexe mais des outils sont en train de se construire."
Une démarche balbutiante
Son cabinet publie depuis 2014 une évaluation des stratégies biodiversité des entreprises du CAC 40, remise à jour chaque année. Résultat : "Nous en sommes aux balbutiements. Les organisations commencent à s’engager mais, même chez les meilleures, ce n’est pas encore assez".
La prise en compte de la biodiversité est inégale en fonction de l’activité des entreprises. "Dans l’aménagement et le bâtiment, ce sont les normes et les réglementations qui ont fait bouger les lignes. Et les secteurs qui dépendent directement des ressources naturelles, comme les industries agroalimentaires et cosmétiques, ont eux aussi une réelle avance grâce à une approche par les risques" poursuit Sylvain Boucherand.
Ainsi, chez Guerlain, autre entreprise pilote pour la certification Ecocert, la démarche développement durable existe depuis 2007. En 2011, l’ensemble des sites de France (les boutiques, le siège et les deux usines de production) ont été certifiés ISO 14 001. En tant que fabricant de cosmétiques issus de produits naturels, c’est assez logiquement que l’entreprise a participé au comité technique d’Ecocert sur la biodiversité et y a candidaté pour obtenir le label. "Evidemment, on se doit de préserver les ressources et de mettre en place des filières durables. Ce label va nous obliger à mieux quantifier et donc à mieux faire, à anticiper les nouvelles règlementations et à communiquer davantage auprès de nos clientes, qui montrent un vrai intérêt pour ces sujets", raconte Sandrine Sommer, directrice développement durable de la marque.
Guerlain a mis en place un mécénat développement durable avec l’association conservatoire de l’Ile d’Ouessant pour protéger l’abeille noire, dont le miel entre dans la composition de l’une de ses crèmes. Ce soutien a permis d’embaucher un apiculteur, de mener des actions de communication et d’apporter un accompagnement juridique à l’association.
6 entreprises du CAC 40 ne se sentent pas concernées...
"Les entreprises ont compris qu’intégrer la biodiversité dans leurs stratégies n’est pas un investissement à perte mais qu’au contraire elles ont tout à gagner à préserver les ressources", reprend Sylvain Boucherand de BL-evolution. En 2014, 12 entreprises du CAC 40 ont identifié leurs dépendances aux services écosystémiques contre 7 l’année précédente.
Une petite progression à mettre en balance avec le fait que huit entreprises du CAC 40 ne communiquent aucune information concernant leur prise en compte de la biodiversité et que six d’entre elles – notamment dans le secteur bancaire – se disent non concernées par ces enjeux.