Publié le 08 juillet 2014

ENVIRONNEMENT

Mobilisation européenne contre la course au brevetage des plantes

Les grandes entreprises de semences déposent des centaines de demandes de brevets sur leurs produits. A ce rythme, le patrimoine génétique des plantes pourrait rapidement devenir la propriété d’une poignée d’industriels. Ces dernières semaines, de plus en plus de voix s’élèvent en Europe pour dénoncer ces pratiques.

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Image d'illustration
© Rémy Gabalda / AFP

L’essor des plantes génétiquement modifiées (PGM) avait amené les industries agrochimiques à réclamer des brevets sur leurs créations végétales. Mais aujourd’hui, le droit des brevets sur le vivant va beaucoup plus loin : il s’applique à tout le patrimoine génétique des plantes.

Le suisse Syngenta a par exemple breveté un melon aigre-doux, obtenu par simple croisement  entre une variété européenne sucrée et une variété asiatique amère. En quelques années, près de 1 000 demandes ont été déposées en Europe pour breveter des caractères et des gènes "naturels" de plantes. "L’Office européen des brevets (OEB) en a déjà accordé une centaine", estime Christoph Then, de la coalition européenne "No Patents on Seeds".

Créée par Greenpeace et Swissaid, "No Patent on Seeds" fait une veille sur l’octroi des brevets sur les semences. Et elle dépose régulièrement des recours contre l’OEB.

 

Monsanto en ligne de mire

 

Le dernier recours en date a été déposé fin mai 2014 contre un brevet européen détenu par le géant américain de l’agrochimie Monsanto sur des tomates résistantes au champignon Botrytis. Pour les plaignants, il est inadmissible que Monsanto récupère cette caractéristique découverte dans une tomate provenant de la banque internationale de gènes de Gatersleben, en Allemagne.

"Les industriels s’approprient toute la sélection végétale. D’ici 10 ans, tout appartiendra à quelques multinationales", prévoit Guy Kastler, du réseau Semences paysannes, qui s’est associé à la plainte.

Cette privatisation du vivant menace en particulier les petites et moyennes entreprises des semences. Du jour au lendemain, elles risquent de voir leurs propres variétés tomber sous le coup d’un brevet. L’entreprise française Gautier est ainsi obligée, depuis 2013, de payer des royalties au semencier hollandais Rijk Zwaan pour commercialiser une laitue résistante à un puceron, alors qu’elle l’a sélectionnée depuis des années !  

Le danger d’être accusé de contrefaçon est permanent. D’autant qu’il est extrêmement difficile de savoir si les variétés commercialisées sont liées par des brevets. Pour Christine Noiville, directrice de recherche à la Sorbonne, "La plupart des entreprises n’ont pas la capacité d’identifier ce type de brevets potentiellement bloquants, pas plus qu’elles n’ont de stratégie pour les contourner." 

Face aux risques de voir les contentieux se multiplier, "le Haut conseil des biotechnologies (HCB) demande de mettre un point d’arrêt à ces brevets", souligne Christine Noiville, qui était présidente du Comité économique, éthique et social du HCB jusqu’en mai 2014.

L’OEB s’est pour l’instant contenté de réduire l’octroi des brevets sur les plantes non-OGM. Seuls quelques brevets de ce type ont été accordés depuis septembre 2013. Mais cette situation figée ne satisfait personne. "Si on n’arrête pas ces brevets, tout va se bloquer", estime Guy Kastler.

 

Des semenciers opposés au brevetage

 

Le Parlement européen avait voté dès 2012 une résolution contre le brevetage, et le 30 avril 2014, c’est le ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, qui prenait position contre ce type de brevets, lors d’un colloque du HCB.

Du côté des représentants des industriels, l'Union française des semenciers et l’association hollandaise Plantum NL dénoncent le brevetage des plantes. Ils redoutent que ce système prenne progressivement le pas sur celui en vigueur, qui requiert un certificat d’obtention végétale (COV).

Ce dernier permet d’utiliser librement toutes les semences disponibles pour mettre au point une nouvelle variété. Mais au sein de ces industriels, les positions divergent. Limagrain et Rijk Zwaan suivent progressivement l’exemple des multinationales de l’agrochimie et ont de plus en plus recours aux brevets.

Ainsi, les lignes se brouillent entre le système européen des certificats d’obtention végétale et le système américain des brevets. D’autant que le brevetage des plantes fait aussi polémique aux États-Unis. Un récent arrêt de la Cour suprême américaine s’oppose au brevetage des gènes "naturels".

Magali Reinert
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