Publié le 29 août 2017
ENVIRONNEMENT
Pourquoi le fipronil a tué dans l’œuf les États généraux de l’alimentation
Le gouvernement misait sur des engagements volontaires pour parvenir à un consensus autour d’une hausse de la rémunération des producteurs lors des États généraux de l’Alimentation. Mais la crise des œufs contaminés au fipronil cristallise le débat. Les distributeurs et industriels se rejettent la responsabilité de l'affaire sapant tout espoir de compromis.

Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture
Il y avait quelques bonnes intentions au début des États généraux de l'alimentation lancé en juillet. Et puis il y a eu le fipronil. L’affaire des œufs contaminés à cet insecticide, interdit dans la chaîne alimentaire, a fait sauter le vernis déjà bien craquelé de bonne entente entre producteurs, distributeurs et industriels.
Preuve en est : le clash (public !) entre le PDG de Nestlé France et le président de Leclerc. Une passe d’armes manifestée par voie de blog. C’est d’abord Michel-Édouard Leclerc qui a porté le premier coup. Il estime "qu’on est face à un vrai problème, celui de la difficulté incompréhensible qu’ont certains industriels à tracer correctement et facilement leurs approvisionnements". Il a par ailleurs dénoncé un "système assez opaque que les lobbys industriels ont réussi à masquer jusqu’à présent en obtenant des politiques une exigence de transparence bien moins stricte que celle imposée aux distributeurs".
Piqué au vif, Richard Girardot, PDG de Nestlé France a fustigé "les regrettables propos de M. Leclerc", qui laissent entendre que "l’industrie agroalimentaire vendrait des mauvais produits pour préserver ses marges au détriment de la santé des consommateurs !".
Doute sur "l’esprit constructif" des États généraux de l’alimentation
Selon l’industriel, Michel-Edouard Leclerc essaye "d’exonérer son groupe de toute responsabilité en détournant les soupçons vers l’ensemble de l’industrie-agroalimentaire". Et de conclure : "l’esprit constructif des États généraux de l’Alimentation peut-il s’accommoder de telles pratiques ? Personnellement, j’en doute".
Et il n’est pas le seul. Car le gouvernement table surtout sur des engagements volontaires des parties prenantes pour aboutir à un consensus. Or, le fipronil a mis en exergue les tensions. La Confédération paysanne, représentant une partie des producteurs a ainsi estimé que les industriels "perdaient du temps" à identifier les produits contaminés par le fipronil afin d’en écouler le plus possible sur le marché. "Retirer de la vente les ovoproduits utilisés dans la plupart des produits finis commercialisés coûterait beaucoup trop d’argent aux industriels", a déclaré Laurent Pinatel, porte-parole de l’association, interrogé par le HuffingtonPost.
La rémunération des producteurs au second plan
Au-delà de cette ambiance des plus hostiles, c’est l’objectif même des États généraux qui vient d’être détourné. Car, rappelons-le, l’événement était surtout destiné à sortir de la crise agricole en répartissant mieux la valeur entre les producteurs, distributeurs et industriels. Or l’affaire des œufs contaminés au fipronil semble reléguer au second plan la question de la rémunération des agriculteurs.
Déjà avant l’ouverture des États généraux de l’Alimentation, les tensions entre parties prenantes se faisaient sentir. Chacun rejetant sur l'autre la responsabilité d’une filière en crise, et les raisons du faible revenu des producteurs (un sur deux gagne moins de 350 euros par mois).
"Nous devons nous entendre pour aboutir à un résultat", martèle Stéphane Travert
Le gouvernement, lui, compte bien garder sa trajectoire. Lundi 28 août, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert a une nouvelle fois rappelé l'importance d'un prix juste profitable aux producteurs. Dans une interview accordée au Figaro, il a déclaré ne pas "exclure d’ajuster" la loi de modernisation de l’économie, régissant les négociations commerciales entre distributeurs et industriels. Le but : fixer un juste prix favorable aux producteurs. "Tant que nous n'aurons pas réglé la question de la rémunération, nous n'avancerons pas. C'est une question de survie", a souligné Olivier Alain, coordinateur national de l'évènement et agriculteur.
Le 20 juillet, jour de l’ouverture des États généraux de l’alimentation le ministère avait promis "une traduction législative et réglementaire des décisions prises". Mais encore faut-il une décision ! "S’il n’y a pas d’envie de construire ensemble, l’État se sera agité mais rien de concret ne débouchera", prévenait l’entourage du ministre de l’Agriculture la veille du lancement des États généraux. Une prémonition ? Stéphane Travert ne veut y croire : "Il ne peut pas ne rien se passer", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse le 28 août à l'occasion du lancement des ateliers des États généraux. "Nous devons nous entendre pour aboutir à un résultat. Chacun devra prendre ses responsabilités", tonne-t-il.
Marina Fabre @fabre_marina