Publié le 17 février 2022
ENVIRONNEMENT
Bien qu'historique, le recul des ventes des produits bio ne symbolise pas l'effondrement du marché
Après des années ensoleillées, le marché bio s'assombrit. Pour la première fois, il enregistre une baisse de ses ventes, particulièrement dans les filières du lait, des œufs, du beurre ou de la farine. Une désillusion pour les producteurs qui ont été poussés vers ce marché plus rémunérateur mais qui est concurrencé par le local et les produits sains. La chute, bien que spectaculaire, doit être "relativisée" et s'explique, dans un contexte inflationniste, par de multiples facteurs.

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C’est une "rupture de tendance", selon les termes de Karine Sanouillet, experte RSE et grande distribution. Pour la première fois, les ventes de produits bios sont en recul. Après des années d’euphorie, où la consommation connaissait une croissance à deux chiffres en supermarchés, plusieurs filières enregistrent un vrai décrochage. C’est le cas pour la farine avec un recul de 18 % des ventes, pour le beurre à -12 %, le lait à -7 % ou encore les œufs à -6 %. Pour beaucoup d’agriculteurs, qui se sont tournés vers ce marché florissant, encouragés par les industriels, c’est la désillusion.
Le géant laitier Lactalis a ainsi déclassé du lait bio vers la filière conventionnelle moins rémunératrice. Il affirme avoir pris en charge le coût du déclassement mais il a gelé les nouveaux projets de conversion. Chez son rival Sodiaal, le lait bio est moins bien payé qu'avant et les producteurs incités financièrement à réduire la collecte. "Tous les matins, à la radio, on nous disait que le bio se développait en France et en Europe. On s'est dit qu'on ne pouvait pas passer à côté !", témoigne une arboricultrice à l’AFP. "Personne ne nous a dit qu'il fallait faire attention, que le bio concernait seulement 4% des achats, et que l'offre ne devait pas dépasser la demande", ajoute-t-elle.
Une bulle qui éclate
La pilule est dure à avaler alors que la consommation de fruits et légumes bio a chuté de 11 % en un an, selon Interfel. "De nombreux leaders, d'opinion, politiques, de fédérations, du commerce, de l'industrie ont poussé au bio au-delà du raisonnable, de l'utile et du pertinent. Par idéologie, ou facilité (création de valeur) entraînant toute un collectif dans une bulle", analyse le spécialiste Philippe Goetzmann. Les raisons de cet essoufflement sont multiples. D’abord, dans un contexte inflationniste, les prix du bio, qui sont parfois "50 % plus cher en grande distribution à produit équivalent", attirent difficilement.
"Le bio pâtit également d'une concurrence intense sur le créneau du "mieux consommer" avec des propositions comme le "local" ou encore le "sans" dont le rapport qualité-prix est mieux évalué par les Français", note Emily Mayer, experte des produits de grande consommation à l'institut IRI. D’autant que le bio a subi ces dernières années des attaques sur les valeurs qu’il porte. Le label AB ne garantit en effet pas une juste rémunération des producteurs, des produits locaux ou de saison. Certains acteurs historiques de la bio, comme Biocoop, ont également été pointés du doigt après l’apparition de conflits sociaux. Le changement d’échelle rappelle les méthodes de la grande distribution et a parfois terni l’image du secteur.
"Il faut relativiser la chute"
Il n’y a toutefois pas de "désamour" de la part des consommateurs pour le bio. "Il faut relativiser la chute", appelle Karine Sanouillet, après un boom des ventes pendant le confinement. "Le marché a ralenti mais les facteurs sont multiples. La stratégie des distributeurs et industriels est aussi intéressante à observer. Il y a eu un ralentissement du nombre de références dans les rayons en mars 2021 puis une baisse à la fin de l’année. Est-ce la cause ou la conséquence d’une diminution des ventes ? La question se pose", interroge l’experte.
Pour la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab), cette tendance devrait être temporaire. "Si la bio avait dû attendre que le marché tire son développement, nous ne serions pas à 10 % des surfaces aujourd'hui", affirmait en octobre dernier à France Agricole, Philippe Camburet, son président. La montée en gamme de la commande publique pourrait lancer une nouvelle impulsion. Depuis le 1er janvier, la restauration collective, les cantines scolaires et les établissements de santé doivent intégrer 50 % de produits durables avec au minimum 20 % de produits bios. L’objectif n’est pas encore atteint mais la prise de conscience est là, assure le ministère de l’Agriculture.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina avec AFP