Publié le 18 juin 2020
ENTREPRISES RESPONSABLES
Les actionnaires poussent les entreprises à rendre des comptes sur leur "raison d'être"
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se doter d’une raison d’être. En France, le phénomène a été dopé par la loi Pacte mais le mouvement, plus général, est poussé en partie par les investisseurs. Si les actionnaires plébiscitent les raisons d’être, ils entendent aussi demander des comptes sur leur mise en œuvre.

@Reenya
Incitées par la loi Pacte à se doter d’une raison d’être, les grandes entreprises répondent consciencieusement à l’appel. Au total, depuis deux ans, 26 noms du CAC40 ont élaboré ces quelques lignes censées les définir sur le long terme. Certaines l'ont même inscrite dans leurs statuts comme Atos, Carrefour, Engie, Edf et bientôt Danone. Aux Etats-Unis, pas de loi Pacte mais une déclaration d’intention de la puissante Business Rountable il y a un an, a aussi permis de généraliser le mouvement.
Et les actionnaires ont soutenu voire poussé la démarche. Dès 2019, le plus puissant d’entre eux, qui détient des parts dans la quasi totalité du CAC40, BlackRock, a donné le ton. Dans sa lettre annuelle aux patrons, Larry Fink plaidait alors pour que toutes les entreprises se dotent d’une raison d’être. En France, le sujet figurait également dans les recommandations des investisseurs recueillies par l’Institut du Capitalisme responsable (ICR) en amont des Assemblées générales 2020. "Tous les investisseurs qui ne sont pas dans une logique opportuniste de court terme s’intéressent à la raison d’être car ils veulent savoir quelle est la vision de l’entreprise, les moyens qu’elle va mettre en œuvre pour y parvenir et la façon dont elle agit avec son écosystème. C’est encore plus vrai avec la crise que nous traversons", estime Jean-Florent Rérolle, Managing Director chez Morrow Sodali.
Le business case de la raison d'être
Les sociétés qui franchissent le pas de l'inscription dans les statuts ont reçu une approbation quasi unanime de leurs actionnaires en Assemblée générale, comme Engie où elle a été validée à 99,96 %. Le fruit, souvent d’un travail de concertation en amont, précise Philippe Renard, responsable du service gouvernance d’Engie. "Nous avions consulté une quinzaine d’actionnaires, non pour définir le contenu de notre raison d’être qui doit venir de l’intérieur de l’entreprise mais sur le cahier des charges auquel celle-ci devrait répondre, détaille-t-il. Car si l’on décide d’en faire une démarche réellement engageante, il est important de susciter l’adhésion des co-propriétaires de l’entreprise".
Cette adhésion s’explique aussi par la "preuve croissante qu'il existe un business case de la raison d’être. Étonnamment, ne pas prioriser les seuls bénéfices peut conduire l’entreprise à devenir plus rentable à long terme", souligne Alex Edmans, Professor of Finance London Business School. La crise du Covid-19 l’a confirmé en montrant la bonne tenue en bourse des entreprises ayant de bonnes évaluations ESG (environnement, social et gouvernance).
Encore faut-il que la raison d’être soit liée à ces dimensions et ce, de façon pertinente. C’est une demande de la majorité des investisseurs, selon une étude de Squarewell partners. 52% des fonds interrogés (1) y déclarent que la raison d’être devrait être en ligne avec les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Mais les déclarations d’intention ne suffisent pas. Ils souhaitent surtout que le conseil d'administration soit au coeur du dispositif et que l'entreprise rende des comptes grâce à des indicateurs pertinents.
Une exigence d'impact et de redevabilité
"Ce que nous regardons en premier lieu dans une raison d’être, c’est la cohérence avec le cœur de métier, la référence à des enjeux de développement durable matériels et la précision de la mission pour l’entreprise. Ensuite, c’est le processus d’élaboration et son ouverture aux parties prenantes. Mais surtout, ce qui nous intéresse, c’est la façon dont cela impacte les décisions stratégiques, comme la réorientation du portefeuille de produits de l’entreprise", précise Sara de Carvalho de Oliveira, analyste ESG pour la société de gestion Sycomore AM.
Pour les analystes, se doter d’une raison d’être ne va pas pour autant fondamentalement changer la vision de l’entreprise. Mais cela "va lui donner un outil supplémentaire pour challenger sa stratégie lors du dialogue actionnarial", souligne Benoît Humeau, analyste ISR pour La Banque Postale Asset Management (LBPAM). Et les analystes ISR ne seront pas les seuls, estime Jean-Florent Rerolle qui souligne que les fonds activistes s’intéressent de plus en plus aux dimensions ESG. Plusieurs entreprises ont entendu le message et devraient réaliser des roadshows (tour de table avec les investisseurs, ndr) dédiés à la raison d’être.
Béatrice Héraud @BeatriceHeraud
(1) Investisseurs interrogés par l'étude Squarewell: fonds actifs, passifs, hedge funds en France, en Angleterre, au Japon, en Afrique dyu Sud et aux Etats-Unis. Ils gèrent collectivement 22000 milliards de dollars