Publié le 25 mars 2019

ENTREPRISES RESPONSABLES

Devoir de vigilance : les entreprises jouent la montre

Deux ans après l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, les ONG dressent un "constat inquiétant" de son application par les entreprises. Certaines comme Lactalis, Zara ou Crédit Agricole n’ont pas publié de plan. D’autres comme Danone, Total, Carrefour ou BNP Paribas sont en deçà des attentes.

Les plans de vigilance des entreprises qui doivent faire la lumière sur les risques pesant sur les hommes et l'environnement des activités des grandes entreprises et de leur chaine de valeur sont insuffisants selon les oNG
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Peu lisibles, lacunaires, imprécises, peu en phase avec l’esprit de la loi… Les premiers plans de vigilance ne sont clairement pas au niveau, selon les ONG. Rendus obligatoires par la loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017, les grandes entreprises opérant en France doivent rendre compte de la façon elles identifient et prennent des mesures pour prévenir et atténuer les atteintes aux droits humains, à la santé et la sécurité des personnes, et à l’environnement dues à leurs activités, leurs filiales et sous-traitants.

Les six ONG à l’origine de la loi (Sherpa, Amnesty International, Amis de la Terre, Action-Aid Peuples Solidaires, CCFD-Terre solidaire et le collectif éthique sur l’étiquette) ont passé au crible 80 plans sur les 300 entreprises qu’elles ont identifiées comme étant soumises aux obligations législatives (1).

L’esprit de la loi peu respecté

"La plupart des entreprises ne répondent que très partiellement aux exigences de la loi, notamment en termes d’identification des risques de violations, de leur localisation et des mesures mises en œuvre pour les prévenir", soulignent les associations dans un communiqué. La plupart semblent même être passées à côté de l’esprit de la loi puisque "les risques liés aux activités des filiales sont le plus souvent ignorés dans les plans". Par ailleurs, plusieurs plans sont encore "très centrés sur les risques pour les entreprises et les investisseurs et non pour les tiers ou l’environnement".

Le rapport distingue la société minière Eramet, pourtant rarement citée en exemple par les ONG, pour être l’une des seules entreprises à mentionner explicitement que le plan de vigilance "implique une évaluation de la gravité de l’impact, non pas directement pour le groupe, mais pour la ou les personnes tierces potentiellement affectées (collaborateur, riverain d’un site ou autre personne)". Son plan est aussi le seul à détailler clairement les risques pour différents sites miniers, au lieu de donner simplement une vision globale. Toutefois, les plans d’actions sont encore insuffisants, soulignent les associations.

Zara, H&M, Lactalis ou Crédit agricole aux abonnés absents

D’autres entreprises n’ont même pas pris la peine de publier un plan de vigilance. Sur les différentes entreprises qui ont été analysées dans cinq secteurs (mine, défense, agroalimentaire, textile, banque), les ONG citent Zara (Inditex), H&M, Lactalis et Crédit agricole. Il y a eu une mauvaise interprétation de la la loi en "confondant plan de vigilance et compte rendu de sa mise en œuvre, le dernier ne devant être publié qu’à partir de 2019", se justifie Crédit agricole. De son côté H&M pensait "ne pas être concernée par la loi en tant que statut de SARL et non de SA".

Pour les associations, "sachant que les potentielles sanctions légales n’interviennent qu’à partir de 2019, il pourrait s’agir d’un nouvel exemple du fait que sans menace de sanctions, les entreprises sont peu enclines à agir". Il semble que certaines entreprises ont effectivement joué la montre en publiant des rapports de pure forme ou en présentant des plans a minima. Mais si l’exercice 2018 pouvait servir de galop d’essai pour les entreprises, les prochains plans (les premiers sont attendus à partir de mars) sont susceptibles d’être attaqués en justice.

Total est déjà dans le viseur de certaines ONG sur la question du changement climatique. D’autres devraient subir le même sort. Elles risquent de voir leur responsabilité civile engagée et, le cas échéant, l’entreprise pourra être condamnée à verser des dommages-intérêts aux victimes si les moyens mis en place pour prévenir et atténuer les risques ont été insuffisants.

Béatrice Héraud @beatriceheraud 

(1)  Les ONG estiment à 300 le nombre d’entreprises concernées mais, rappellent-elles, aucune liste précise sur les entreprises soumises) cette loi (celles employant au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde, en leur sein et dans leurs filiales directes et indirectes), n’a été publiée. Elles ont étudié 80 plans sur 5 secteurs d'activité.

 

 


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