Publié le 28 mars 2017
Donald Trump a relancé vendredi dernier le chantier de pipeline géant enterré par son prédécesseur. Un projet emblématique à l'heure où il s'apprête à abolir d'autres mesures environnementales phares de Barack Obama, en faisant notamment la part belle aux énergies fossiles. L'impact climatique de Keystone XL est depuis longtemps dénoncé mais c'est sa rentabilité même qui est désormais mise en doute, notamment dans un monde qui s'est prononcé pour limiter la hausse de la température globale à +2°C. La mobilisation des acteurs économiques autour de ce dossier s'amorce, mais à petits pas. Explications.

Après avoir relancé le projet Dakota Access fin janvier, Donald Trump a officiellement donné le feu vert vendredi dernier à l’opérateur canadien TransCanada pour la construction du pipeline Keystone XL. Un projet pourtant enterré par Barack Obama en 2015. L’administration Trump l’a ressuscité en affirmant avoir pris en compte "la sécurité énergétique, l’environnement, les aspects culturels ou les impacts économiques". Mais la question de la rentabilité de ce serpent de mer est bel et bien posée.


8 milliards de dollars à rentabiliser



Le projet Keystone XL a été lancé il y a presque une décennie, pour une ouverture planifiée en 2012. Les experts tablent aujourd’hui sur 2020, au mieux. Entre ces deux dates, le paysage énergétique a radicalement changé. À commencer par les prix du pétrole : ils oscillaient entre 100 et 140 dollars le baril, mais ils ne devraient pas remonter à moyen terme au-delà des 60 dollars, selon les projections du ministère de l’énergie américain.
Le coût du projet, lui, est toujours estimé à 8 milliards de dollars. Ce qui fait dire au think tank Carbon Tracker Initiative que Keystone XL est un "piège". "De nombreux investissements d’infrastructures, comme les pipelines, sont basés sur des projections de demande élevée pour le pétrole qui sont hors de propos depuis des décennies", résume Mark Campanale, fondateur de Carbon Tracker Initiative, dans le New York Times.
Quant aux sables bitumineux eux-mêmes, ils sont 1,5 fois plus émetteurs de gaz à effet de serre que les pétroles conventionnels. Un risque climatique et diplomatique pour les États-Unis, dans un monde qui a adopté à une large majorité l’Accord de Paris avec l’objectif des 2°C en ligne de mire. Mais l’administration Trump ne semble guère faire sien cet objectif. Cet après-midi, le président doit en effet signer un décret intititulé indépendance de l’énergie et dont le but est de défaire une large part des réglementations contre le réchauffement climatique afin de stimuler la production d’énergie sur le sol américain.
Même le "grand jour" promis par Donald Trump en termes d’emplois ne résiste pas à l’épreuve des faits. Le Département d’État table sur 3 900 créations d’emplois si le pipeline est construit en un an… mais seulement 1 950 si le projet s’étale sur deux ans et pas plus de 35 employés permanents une fois la construction achevée. Quant à la promesse du candidat Trump de voir l’édifice construit uniquement en acier "made in America", la Maison-Blanche a d’ores et déjà pris ses distances avec cette affirmation.

Des partenaires financiers plus difficiles à cibler



Face à tous ces risques, les associations environnementales s’organisent peu à peu et ciblent les acteurs économiques du projet. La coalition Rainforest Action Network a lancé une campagne intitulée "Dites aux PDG de banques de ne plus financer Keystone XL". Elle pointe du doigt 21 établissements bancaires au total et rappelle que ce projet constitue une menace pour "l’eau, l’air et les droits des Amérindiens". Dans une autre pétition, Greenpeace cible de son côté les banques américaines (Citi, JP Morgan, Wells Fargo, TD Bank, et Bank of America) qui pourraient accorder un prêt à TransCanada.
Mais cette mobilisation semble démarrer lentement. Plus lentement en tout cas que celle pour Dakota Access qui a vu par exemple un groupe d’investisseurs responsables pesant 653 milliards de dollars mettre en garde la vingtaine de banques qui financent ce projet. Déjà trois d’entre elles se sont détournées de ce pipeline.

Pour Keystone, en revanche, les investisseurs responsables que nous avons sollicités tardent encore à prendre position. "CalPERS est un actionnaire actif, engagé aux côtés d’entreprises qui assurent la valeur à long-terme de nos investissements. Mais nous ne faisons pas de commentaires spécifiques sur Keystone XL", indique par exemple celui qui gère le fonds de retraite de plus de 1,6 million de Californiens. "En janvier dernier, nous avions publié un communiqué de presse sur les décisions de Donald Trump pour les deux projets Keystone XL et Dakota Access", se contente de préciser l’organisation religieuse Adrian Dominican Sisters, engagée depuis 40 ans dans l’investissement responsable.
Pourquoi cette différence de traitement ? La première explication tient à la nature même du financement de Keystone XL. Aucun consortium de banques n’a consenti pour l’instant de prêt spécifique pour ce projet et il n’est même pas certain que TransCanada en aura besoin in fine. Les associations et les acteurs économiques ne peuvent donc cibler que l’opérateur de façon globale, pas des banques spécifiquement.
La seconde explication tient à la place médiatique centrale des Amérindiens et de leurs droits dans la lutte contre Dakota Access, alors qu’on ne la retrouve qu’en filigrane dans le dossier Keystone XL. Mais, à long terme, "cela pourra peut-être nous permettre de mobiliser des gens qui sont moins concernés par les difficultés des Amérindiens et plus inquiets du changement climatique", espère Johan Frinjs, directeur de Bank Track. Son espoir : que toute l’expérience emmagasinée pour lutter contre Dakota Access serve désormais contre Keystone XL.

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