Publié le 16 octobre 2015

ÉNERGIE
Liu Yang Sheng : "La priorité pour la Chine, c'est de réduire le charbon"
Brocardée comme mauvaise élève des négociations internationales sur le climat à Copenhague en 2009, la Chine est aujourd’hui beaucoup mieux notée. En particulier grâce à ses forts investissements dans les énergies renouvelables. Liu Yang Sheng a créé Hao capital, un fonds de capital-investissement justement spécialisé dans les énergies renouvelables et les technologies vertes. Il analyse les opportunités offertes par la COP21 et les engagements en faveur de l’environnement pris par la Chine.

DR
Novethic. Comment la Chine appréhende-t-elle la conférence climat, la COP21, qui aura lieu à Paris en fin d’année ? Celle-ci va-t-elle donner un coup de fouet à la filière verte, déjà en forme, dans le pays ?
Liu Yang Sheng. La Chine sera en position de s’engager à réduire ses émissions de gaz carbonique pour avoir un scénario énergétique plus propre. Elle va profiter de cette opportunité pour faire connaître ses engagements au niveau mondial. La Chine est déjà leader dans le solaire et l’éolien. Il y a eu 10 gigawatts de solaire installés l’année dernière, et 18 cette année. Mais la priorité désormais, c’est de réduire le nombre de centrales au charbon, pour réduire les émissions globales de CO2 du pays.
Novethic. Comment ?
Liu Yang Sheng. Cela va notamment être possible grâce à la chute des prix du gaz. Il y a trois ans, on payait le gaz en Chine trois fois plus cher qu’aux Etats-Unis. Aujourd’hui, c’est encore deux fois plus, mais cela baisse. Par exemple, dans la province du Zhejiang, qui est la mieux équipée de Chine en centrales au gaz, celles-ci ne fonctionnent que 800 heures par an, contre 3 600 heures en moyenne dans le monde ! C’est parce que les prix du gaz sont tellement élevés que pour chaque watt produit, vous perdez de l’argent.
La nouvelle administration (de Xi Jinping, au pouvoir depuis 2012) a commencé à s’attaquer aux trois grands monopoles de l’énergie, bien établis dans le pétrole et le charbon, qui maintenaient les prix du gaz artificiellement hauts. On peut désormais acheter du gaz sans passer par ces opérateurs. Le changement va prendre du temps car il faut des infrastructures lourdes pour s’approvisionner. Mais on se rapproche doucement du point de rentabilité. Si les prix continuent à baisser, ces centrales pourraient atteindre 2 000 ou 2 500 heures par an, ce qui réduirait la dépendance au charbon. C’est une très bonne nouvelle car cela va être un énorme secteur de croissance. Et le gaz est beaucoup moins polluant que le charbon.
"Réduire l'impact au maximum"
Novethic. Mais le gaz reste émetteur de CO2…
Liu Yang Sheng. Il n’y pas de solution totalement inoffensive pour l’environnement. L’énergie solaire est aussi polluante, parce qu’il faut produire les capteurs solaires. Même l’hydroélectrique a un impact sur l’environnement. L’objectif, c’est de réduire au maximum l’impact en trouvant le bon équilibre entre les différentes sources d’énergie. Et pour la prochaine décennie au moins, la meilleure solution, c’est la combinaison du solaire et du gaz.
Novethic. Et l’éolien ?
Liu Yang Sheng. Malheureusement, l’énergie éolienne, on la surnomme "énergie poubelle" (garbage power) dans le secteur. Parce qu’on ne peut pas stocker cette énergie, et qu’on ne peut pas dire à la nature quand souffler. Sauf si de vraies avancées technologiques ont lieu, il sera difficile d’utiliser l’éolien à grande échelle.
Novethic. La Chine investit beaucoup dans les renouvelables. Et c’est en Chine que l’on trouve le plus grand marché pour elles. N’est-il pas alors paradoxal que les innovations technologiques restent le fait de pays occidentaux ?
Liu Yang Sheng. Il y a deux raisons qui expliquent que le marché reste minime en Europe et aux Etats-Unis. D’abord, le coût du travail et de la technologie : les produits plus sophistiqués sont aussi plus chers à entretenir. Deuxièmement, dans les pays de l’Ouest, après la crise de 2008, la plupart des gouvernements ont coupé les subventions pour les énergies renouvelables, parfois totalement, notamment dans les pays méditerranéens. Concernant les innovations, la question peut être tournée différemment. Je pense que les entreprises chinoises sont pleines d’ingéniosité et de créativité.
En Chine, les entreprises essaient de développer des produits économiques, qui s’adaptent mieux aux conditions locales. Par exemple, il existe des systèmes qui permettent aux panneaux solaires de suivre le soleil pendant la journée. Grâce à des systèmes vraiment précis, comme ceux développés par Siemens par exemple, vous pouvez obtenir 25 % d’énergie en plus. Mais chaque panneau est équipé d’un moteur : c’est cher et lourd en entretien. Les Chinois, eux, ont mis au point des systèmes de suivi (tracking) qui fonctionnent avec des cordes et des poulies. Un seul moteur actionne une vingtaine de panneaux ! Ces panneaux sont bons marchés et faciles à entretenir. Ils ne sont pas aussi précis que les Siemens, mais ils permettent déjà de gagner 10 à 15 % d’énergie par rapport à des panneaux statiques. En matière de recherche et développement, les Chinois ne se concentrent pas sur les sciences dures, mais plutôt sur les techniques industrielles. Pour faire des découvertes révolutionnaires, il faut des années de recherches scientifiques, et, souvent, elles n’arrivent pas sur le marché assez rapidement. En Chine, des universités mènent ce genre de recherches, mais rarement les institutions commerciales.
Novethic. La Chine est donc pleine d’opportunités pour les entreprises qui innovent dans le secteur ?
Liu Yang Sheng. Le marché est énorme ici. Mais il est énorme pour ceux qui s’adaptent aux conditions locales. Il est inexistant pour ceux qui s’entêtent à faire les choses à leur manière.
Novethic. Le marché des renouvelables est-il touché par le ralentissement économique qui frappe la Chine ?
Liu Yang Sheng. Absolument pas. Mais pour moi, le concept même de ralentissement est d’ailleurs un peu faussé. La taille de l’économie chinoise a triplé en quinze ans. Les 12 % de croissance à l’époque équivalent à 3 ou 4 % aujourd’hui. Aucune des grandes économies mondiales aujourd’hui n’est capable d’avoir 7 % ou même 5 % de croissance.
Novethic. Comment les autorités peuvent-elles orienter les investissements vers l’économie verte dans le pays ?
Liu Yang Sheng. D’abord, par la restriction : en réduisant les investissements pour les énergies fossiles. Et c’est ce qui est en marche. Pour toute nouvelle centrale au charbon construite, les grandes entreprises d’Etat chinoises ont obligation d’en fermer une ancienne. Cela permet de gagner en efficacité, puisqu’on utilise des technologies plus récentes. Ensuite, en promouvant les énergies renouvelables.
La Chine est sans doute le dernier pays qui a de l’argent à dépenser pour soutenir les renouvelables ! Par exemple, le kwh produit au charbon est payé entre 0,45 et 0,5 yuan, alors que pour un kwh issu de l’énergie solaire, le gouvernement central paie 1 RMB (1,38 €), et les provinces ajoutent souvent 0,2 RMB. Au total cela fait 1,2 RMB du kwh. Ce sont des subventions très importantes, qui permettent à ce secteur de grandir. Et aujourd’hui, le solaire est déjà rentable. Ces subventions, ce n’est que du bénéfice ! D’ailleurs, les subventions vont baisser à partir de l’année prochaine.
"Arrêter de chercher la croissance immédiate"
Novethic. Pour financer cette transition énergétique, la Chine peut-elle compter sur la finance verte , et notamment les green bonds ?
Liu Yang Sheng. J'ai lu que la finance verte a été multipliée par 10 ces cinq dernières années, c’est un signe positif. Mais tout dépend vers quoi elle va. Ce serait parfait si l’argent était alloué à de la recherche fondamentale, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Parce que la finance, même "verte" est toujours à la recherche de retours sur investissements rapides. La finance verte devrait vraiment chercher à répondre à la soif d’énergie des pays en développement, pour qu’ils ne brûlent pas leurs arbres.
Novethic. Lors de la signature du protocole de Kyoto, la Chine avait le statut de pays en développement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Que peut faire la Chine pour aider à son tour les pays en développement ?
Liu Yang Sheng. Aujourd’hui, la situation chinoise est différente de celle des autres pays en développement. L’Inde par exemple va continuer à recevoir le soutien des pays développés pour améliorer son efficacité énergétique. Il est d’ailleurs important qu’elle ne soit pas soumise aux mêmes critères que les pays développés. Mais la Chine, elle, a déjà beaucoup avancé pour atteindre les critères des pays développés. Elle commence donc à aider les pays en développement à son tour. Par exemple, le programme d’aides signé par la Chine avec le Pakistan inclut l’objectif d’installer une capacité de 900 mégawatts d’énergie solaire dans le pays.
Novethic. Quel est le principal obstacle à un développement plus soutenable en Chine ?
Liu Yang Sheng. La mentalité : les gens doivent arrêter de chercher la croissance immédiate. Et faire un peu plus d’efforts pour planifier et prendre en compte les questions d’efficacité et de protection de la nature.