Publié le 06 octobre 2017
ÉNERGIE
[Décryptage] Quand Total devient distributeur d’électricité renouvelable, on sait que le monde change
Total veut devenir le troisième électricien français en ne distribuant que de l'électricité d’origine renouvelable. Le cinquième pétrolier mondial a conscience que l’avenir de l’énergie est à l’électrification et aux renouvelables. Bien sûr, la multinationale n’en a pas fini avec le pétrole et le gaz, loin de là, mais elle est la preuve que même le monde de l’industrie pétrolière sait que le temps du changement est venu.

Total
Il est des signaux forts qui vous hurlent au visage que le monde est en train de changer. C’est ce qui s’est passé jeudi 5 octobre dans un grand loft de la rue Taitbout dans le neuvième arrondissement parisien. Assis dans des canapés confortables, dans une ambiance de start-up, une assemblée de journalistes a vu arriver Patrick Pouyanné, le PDG de Total, sans cravate et col de chemise ouverte. D’emblée, il assure qu’il va annoncer une révolution.
Le patron du cinquième pétrolier privé mondial dévoilait le lancement d’une offre destiné aux particuliers : Total Spring. Il s’agit de distribution d’électricité d’origine renouvelable et de gaz à un prix 10 % inférieur à celui des tarifs réglementés. L’ambition est même de devenir le premier distributeur alternatif après EDF (83% du marché de l’électricité) et Engie (75 % du marché du gaz), en acquérant à très court terme une base 3 millions de clients, soit 1 million de plus que l’actuel leader des fournisseurs alternatif Direct Energie.
Un virage engagé en 2011
"Toute l’électricité achetée sera garantie par des certificats d’origine renouvelables", assure Patrick Pouyanné. De plus, le pétrolier veut opérer 5 gigawatts de production d’électricité éolienne et solaire d’ici 2022. Le groupe possède déjà plusieurs centaines de mégawatts photovoltaïques en France "et répond à tous les appels d’offres", assure la direction. "Nous prenons ces positions pour intégrer toute la chaîne de l’électricité et ne pas être seulement un acteur du trading", explique le groupe. Le pétrolier ne part pas de zéro. Il y a un an, il avait dépensé 185 millions d’euros pour acquérir l’électricien belge Lampiris qui compte 400 000 clients e France (tous désormais chez Total Spring).
Total, bientôt l’un des premiers distributeurs d’électricité verte en France ! Une assertion inimaginable il y a encore quelques années. Mais depuis 2011, l’entreprise a engagé une relative transition. À cette date, alors que les prix du pétrole semblaient ne jamais devoir finir de grimper après la chute due à la crise financière (depuis les cours se sont à nouveau effondrés), les équipes convainquaient la direction d’acquérir l’un des plus grands producteurs de cellules photovoltaïques, l’américain SunPower.
9 milliards de dollars investis dans les énergies vertes
Un chèque de 1,5 milliard de dollars que l’ex-PDG Christophe de Margerie acceptera de signer. Et ce ne fut qu’un début. Depuis, le pétrolier s’est emparé du fabricant de batteries Saft. Il a pris une participation de 23 % dans la société Eren Renewable Energy (EREN RE). Récemment, il s’est emparé de la pépite tricolore Greenflex, spécialiste français de l’accompagnement des entreprises dans la transition énergétique et la performance environnementale.
Pas question pour autant de donner un blanc-seing environnemental à Total qui reste, avant tout, un pétrolier. Fin septembre, l’entreprise annonçait encore un accord majeur avec Chevron pour explorer 16 blocs ultra-profonds dans le Golfe du Mexique. Quelques semaines auparavant, le pétrolier se réjouissait de l’acquisition du pétrolier Danois l'acquisition du danois Maersk Oil pour 7,45 milliards de dollars (6,3 milliards d'euros), la plus grosse opération de croissance externe depuis le rachat d’Elf en 2000.
Pour autant le français est le premier investisseur dans les énergies vertes dans le monde du pétrole avec 9 milliards de dollars dépensés en 7 ans. Il devance BP (8,25 milliards de dollars), Statoil (3 milliards de dollars), Shell (1,7 milliard), Chevron (1 milliard). Le groupe annonce que jusqu’à 15 % des capitaux employés du groupe seront fléchés vers les énergies renouvelables d’ici 2025. Ces sommes restent toutefois une goutte d’eau face aux plus de 500 milliards de dollars dépensés en 2016 dans le monde pour l’exploration et la production pétrolière.
Quand Exxon se moquait des énergies renouvelables
Dans un rapport dédié à l’entreprise française, les analystes de Lux Research jugent que "les supermajors pétrolières doivent prendre exemple sur Total […] et explorer des opportunités non seulement dans les batteries, mais aussi dans le solaire et dans l’énergie distribuée". Certains le font déjà. Ben Van Beurden, PDG de Shell, assure que son entreprise va dépenser 1 milliard de dollars par an dans les renouvelables à partir de 2020. Statoil, déjà acteur dans l’éolien offshore, vient d’annoncer son entrée sur le marché du solaire.
Pour d’autres, ce virage est encore difficile à prendre. C’est le cas de d’Exxon par exemple. En Assemblée générale, les actionnaires ont dû tordre le bras de la direction pour qu’elle prenne en compte la réalité du changement climatique. Ils ont voté une résolution qui force l’entreprise à établir une stratégie en ligne avec l’objectif de l’Accord de Paris, c’est-à-dire limiter le réchauffement à 2°C. Il y a à peine deux ans, l’ancien PDG d’Exxon, Rex Tillerson, devenu secrétaire d’État des États-Unis, justifiait encore le refus de son groupe d’investir dans les renouvelables. Plein d’ironie, il assurait : "Nous n’allons pas perdre de l’argent à dessein". Mais nous étions alors dans un autre monde !
Ludovic Dupin, @LudovicDupin