Publié le 09 avril 2017
ÉNERGIE
Fermeture de Fessenheim : comment l'État tente de reprendre la main
Ségolène Royal, la ministre de l'Environnement, a annoncé dimanche 9 avril, avoir publié le décret de la fermeture de Fessenheim, la plus vieille centrale nucléaire française. Pour autant, s'agit-il réellement d'une reprise en main de l'État ? Le décret pose les mêmes conditions que celles votées le 6 avril par le conseil d'administration d'EDF qui s'est déroulé sous haute tension. Retour sur le feuilleton de ces derniers jours.

Fred Dott / Greenpeace
C'est par un tweet, tôt, ce dimanche 9 avril, que Ségolène Royal a voulu annoncer la nouvelle. "Le décret sur la fermeture de la centrale de Fessenheim est signé et publié ce matin au JO. C'est dit c'est fait."
Jeudi, la ministre de l'Environnement avait en effet annoncé que le texte serait publié avant le 7 mai, soit la fin du quinquennat Hollande. De quoi tenir la promesse de fermeture, que le candidat de 2012 avait assuré pour son mandat. "Je crois qu'il faut cesser de tergiverser", a répété Ségolène Royal ces derniers jours, accusant "le lobby nucléaire" d'avoir voulu "ralentir la décision" de fermeture, réclamée par les écologistes ainsi que par des pays frontaliers de la centrale (l'Allemagne et la Suisse). Fermeture à laquelle s'opposent les syndicats de la filière au nom de la défense de l'emploi.
Mais le décret change-t-il réellement la donne ? Pas vraiment, car il reprend les conditions fixées par EDF lors du conseil d'administration mouvementé du jeudi 6 avril. C'est à dire à la mise en service de l’EPR de Flamanville 3, prévue à l’horizon 2019. Mais pas seulement : comme le mentionnait le CA d'EDF, le décret précise également que la capacité nucléaire du parc de production d'EDF devait respecter la limite de 63,2 gigawatts (GW), soit son niveau actuel, plafond fixé par la loi sur la transition énergétique.
Le décret est donc une décision très politique. Car l'État n'a en fait pas toute latitude pour fermer une centrale. Et ce à plusieurs niveaux.
L'État n'est pas décisionnaire de la fermeture
La décision de fermeture d'une centrale nucléaire est un processus très encadré. De manière générale, l’État ne peut arrêter une centrale nucléaire. La mise à l’arrêt ne peut être décidée que par décision de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, l’ASN, qui estime qu’il y a un danger.
Dans le cadre d’une politique énergétique, là encore, l’État ne peut décider. Même si la loi sur la transition énergétique impose un objectif de 50% d’énergie nucléaire, seul l’exploitant, en l’occurrence EDF, peut en faire la demande. "Dans les deux cas, qu’on veuille fermer pour motif de sûreté ou de mix énergétique, l’État n’est pas décisionnaire", résume Arnaud Gossement, avocat spécialisé en environnement.
La gouvernance d'EDF en question
Autre donnée. Celle de la gouvernance d'EDF. Un point crucial puisque c'est l'exploitant qui doit faire la demande d'abrogation de l'exploitation. Or, jeudi 6 avril, l’État actionnaire, ultra-majoritaire d’EDF (85%), n’a pas pu participer au vote. Ses 6 administrateurs se sont abstenus afin de prévenir les conflits d’intérêts. Seuls les 6 administrateurs représentants les salariés et les 6 autres nommés par l’assemblée générale comme "administrateurs indépendants" ont pu voter. Parmi eux, Jean-Bernard Levy, actuel PDG d’EDF.
Des "conditions inacceptables" selon Greenpeace. "Ce n’est pas normal, si l’État ne peut être juge et parti, pourquoi le patron d’EDF le pourrait ?", souligne Michèle Rivasi, eurodéputée EELV. De fait, pour Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest, cabinet de conseil et d’analyse financière, "Jean-Bernard Lévy n’est pas considéré comme indépendant au sens du code AFEP-MEDEF ou de la définition Proxinvest mais il est d’usage que le PDG participe à ces décisions", explique-t-il. "Une vision élargie de la notion de conflits d’intérêt aurait pu permettre de considérer que le Président étant nommé par l’Etat, il souffre lui-aussi d’un conflit d’intérêt mais cela ne semble pas avoir été le cas".
Autre poids, non négligeable, celui de l'opposition forte que suscite cette fermeture chez les salariés du nucléaire et chez certains politiques. Dès l'annonce du décret, Eric Straumann, le député LR et président du conseil départemental du Haut Rhin, où est implantée la centrale, a dénoncé une publication "sans fondement juridique", et a évoqué des recours contre ce dernier.