Publié le 06 juillet 2022
ÉCONOMIE
Le temps de l'entreprise durable est compté, voici l'entreprise régénératrice
Le but de l'entreprise régénératrice est de faire vivre en harmonie les êtres humains et les écosystèmes, en produisant sans épuiser les ressources mais en les régénérant. À la clé, le système pourrait réduire de plus de 90 % l’utilisation de matière dans de nombreux domaines, selon Isabelle Delannoy, auteur de "L'économie symbiotique".

DANIEL MIHAILESCUAFP
Pour éviter le piège "des rapports RSE d’autant plus longs et délirants que les crimes qu’ils masquent sont scandaleux", pointé par les "déserteurs" d’AgroParisTech, des entreprises transforment concrètement leur modèle. Pour ce faire, certaines adoptent le concept d’entreprise régénératrice.
Il s'agit d'une organisation "en rupture avec l’économie linéaire et extractive", précise Isabelle Delannoy, présidente de l'Entreprise Symbiotique, qui a lancé un programme de formation sur ce thème. Ces structures "régénèrent les équilibres planétaires et contribuent à des activités de services écologiques", ajoute-t-elle. "Ces modèles vivent aujourd’hui dans tous les domaines, on a le potentiel pour faire une économie complète : de la consommation à la production en passant par la gouvernance", s’enthousiasme l’environnementaliste.
L’écologie industrielle
L’auteur du livre "Économie symbiotique" (Actes Sud) recense de nombreux exemples qui contribuent à régénérer les milieux dont ils dépendent. Le modèle "d’écologie industrielle" en fait notamment partie. Ce modèle favorise un fonctionnement en circuit fermé entre plusieurs entreprises, où les déchets des unes deviennent des ressources pour les autres. La "symbiose de Kalundborg" au Danemark fait figure de vitrine.
Dans cette commune, neuf grands partenaires publics et privés, dont une raffinerie (Equinor, ex-Statoil), un site de production de biochimie (Novo Nordisk, l’autre géant danois), une usine de panneaux en plâtre (Gyproc, filiale du français Saint-Gobain) ou encore la municipalité coopèrent au milieu de champs cultivés, de forêts et d’habitations. Cet écosystème singulier permet d’économiser des ressources cruciales et des millions d’euros pour l’ensemble des acteurs. Un modèle d’autant plus pertinent que depuis 1970, la ville portuaire et ses partenaires ont su l’adapter.
L’entreprise régénératrice n’agit pas seulement sur l’environnement, mais aussi sur les dimensions sociales et de gouvernance, à l’image d’EDF qui transforme sa gouvernance. Les salariés de l’énergéticien sont encouragés à contribuer concrètement à la transformation du groupe en apportant des solutions qui émanent du terrain. Pour ce faire, tous les collaborateurs sont formés aux défis environnementaux et sociaux. Certains s’organisent sous forme de collectifs et sont entendus au plus haut niveau de la prise de décision.
"Créer des îlots d’expérimentations"
Les exemples d’entreprises régénératrices identifiées par Isabelle Delannoy sont nombreux. L’ingénieure agronome de formation recense des solutions anciennes, comme l’économie circulaire ou les monnaies complémentaires, et récentes telle que l’économie de la fonctionnalité. Elle tire des enseignements de ces expériences de terrain.
Pour devenir régénératrice, les entreprises doivent "repenser les liens entre concurrents", souligne Isabelle Delannoy, mais aussi revoir leurs indicateurs financiers et de performance. "La finance durable a un rôle clé à jouer dans ces transformations", estime Isabelle Delannoy. La prise en compte des limites planétaires devient ainsi une boussole. "Les entreprises doivent aussi arrêter de vouloir réduire leurs externalités négatives pour penser en termes d’externalités positives. Un ordinateur éco-conçu qui termine en décharge n’a aucun sens !", lance la spécialiste.
Mais il n’y a pas de mode d’emploi : "il faut que les entreprises testent de nouveaux modèles, créent des îlots d’expérimentations, innovent dans l’action, c’est la seule façon de réussir", encourage Isabelle Delannoy.
Mathilde Golla @Mathgolla