Publié le 25 septembre 2022
ÉCONOMIE
Après les étudiants qui bifurquent, la révolte des profs pour transformer l’enseignement de l’économie
Le vent se lève dans les écoles de commerce et les universités de gestion ! Les profs sont de plus en plus nombreux à se mobiliser pour adapter les savoirs aux enjeux environnementaux. "Le maintien du paradigme dominant en sciences de gestion équivaut aujourd’hui à une forme criminelle de dogmatisme", lance Laurent Lievens, professeur de gestion à l'Université catholique de Louvain en Belgique, dans sa lettre de démission. D'autres profs d'écoles de commerce lui ont embrayé le pas.

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Après les élèves, c’est au tour des profs de se se révolter ! Au printemps, la vidéo virale des "ingénieurs qui bifurquent" d'AgroParisTech appelant leurs camarades à "déserter" avait été suivie par de nombreuses initiatives d’étudiants. Aujourd'hui, ce sont les enseignants qui appellent à une réforme des écoles de commerce et des universités de gestion. Partir ou rester pour que le milieu académique engage sa transition ? Le débat a été déclenché par la lettre ouverte de démission de Laurent Lievens, professeur de gestion de l'Université catholique de Louvain, en Belgique, publiée dans La Libre Belgique.
L'ingénieur de gestion a quitté ses fonctions après 20 années à "servir loyalement, avec motivation et confiance, [s]on alma mater", écrit-il. Il a choisi de donner sa démission après avoir "cru jusqu'à aujourd'hui en la capacité de changement". Mais il déplore désormais que l’institution "passe radicalement à côté de l'urgence d'un changement de paradigme, dont l'ensemble de la société et du vivant ont pourtant besoin". Sa missive a fait grand bruit dans le milieu feutré des universités de gestion.
"Former, c’est poser une empreinte qui restera"
"J’ai reçu un déluge de messages de la part de collègues, d’élèves et même de professionnels d’autres secteurs comme des agriculteurs ou des architectes !", se réjouit Laurent Lievens. Le chercheur réfléchit désormais à trouver d’autres moyens de poursuivre son combat. L'initiative du professeur belge a été remarquée par ses pairs, dont certains ont décidé de s'en inspirer. "La carte blanche de Laurent Lievens, dans laquelle il annonce son départ de l'UCLouvain, a beaucoup circulé dans nos cercles, réactivant cette préoccupation", confirme Marek Hudon, professeur à l’Université libre de Bruxelles.
S'il partage le constat, lui veut réformer le système de l’intérieur avec d’autres collègues. Dans une tribune publiée dans Le Soir, il explique qu'il va "s’atteler à construire un nouveau collectif d’enseignants en économie sociale. Choisir de contribuer à repenser la finance, la finalité de son enseignement, pousser son analyse systémique". Il se défend aussi d’être la caution d’un système qui ne change pas assez vite.
"Ce qui se passe en Belgique vaut aussi pour la France", affirme de son côté Delphine Gibassier. La professeure lance Vert de Gris, un organisme de formation dans ce domaine. "Les institutions qui gouvernent le monde de la recherche et des écoles de commerces sont régies par des standards internationaux. Ce système des accréditations n’encourage pas (encore) les changements en profondeur", tranche-t-elle. Elle se dit favorable au changement de l’intérieur a pu faire des propositions dans ces anciennes fonctions. Mais "les réformes structurelles sont difficiles à mener de l’intérieur. Il y a trop de dissonances cognitives", souligne-t-elle.
"On enseigne un savoir déjà obsolète"
Quelle que soit la méthode employée, les enseignants évoquent les freins inhérents au système. "Il faut que nous inventions des cas, que nous écrivions des livres, il faut tout créer", souligne Delphine Gibassier. Mais le fonctionnement de la recherche universitaire ne semblent pas favoriser ce type d'innovations. "Ce qui est valorisé ce sont les publications d’articles de recherche, et un enseignement en cohérence avec le contenu du diplôme et ce, même si on enseigne un savoir déjà obsolète", déplore la chercheuse.
En attendant, les étudiants vont chercher ailleurs. "J’ai été obligé de partir faire un doctorat en Suède car il était impossible de trouver des financements en France", témoigne Timothée Parrique, chercheur en économie écologique, qui vient de publier le livre "Ralentir ou périr, l'économie de la décroissance". Même s’il a été invité à dispenser un cours sur "les fondements de la décroissance" aux étudiants de HEC, il estime qu’il "faut revoir l’enseignement de l’économie de fond en comble".
Mathilde Golla @Mathgolla