Publié le 4 octobre 2025

Dès le 1er novembre prochain, Shein ouvrira sa première boutique physique au sein du BHV. Ce nouveau partenariat pourrait permettre au grand magasin de relever la tête après plusieurs années de difficultés. Mais il devrait surtout renforcer l’influence du géant chinois dans l’Hexagone, alors que de plus en plus de voix s’élèvent contre le modèle qu’il porte.

Shein, main dans la main avec l’écosystème de la mode française ? C’est en tout cas l’image que semble vouloir renvoyer le géant de l’ultra fast-fashion depuis quelques semaines. Après l’annonce mi-septembre de son partenariat avec l’enseigne Pimkie, Shein va aujourd’hui un cran plus loin en dévoilant l’ouverture prochaine de sa première boutique pérenne en France. A cette occasion, la firme chinoise ne prévoit pas de s’installer n’importe où : selon un communiqué publié le 1er octobre, elle devrait inaugurer dès le mois de novembre un espace de ventes au sein du prestigieux Bazar de l’Hôtel de Ville (BHV) en plein cœur de Paris.

Cette fois-ci, l’entreprise s’associe donc à la Société des Grands Magasins (SGM), une foncière qui possède le BHV Marais depuis 2023. Et ce n’est pas tout. Devraient suivre progressivement cinq autres stands accueillis par les Galeries Lafayette de Dijon, Reims, Grenoble, Angers et Limoges, ces grands magasins étant eux-aussi exploités sous un modèle d’affiliation par la SGM. “Ensemble, SGM et Shein ont pour ambition d’attirer une clientèle plus jeune et connectée, tout en préservant l’ADN historique des grands magasins : lieux de proximité, de découverte, de transmission, de mixité sociale”, avancent les deux sociétés, qui promettent la création de 200 emplois “directs et indirects”.

Opération séduction

L’ancrage de Shein sur le territoire français n’a rien d’anodin selon les experts de la filière. D’une part, l’ouverture d’espaces de ventes physiques offre à l’entreprise la possibilité d’accroitre sa légitimité en s’implantant près de sa clientèle, à l’instar de ses concurrents, et de se “premiumiser”. Et ce à un coût réduit. “S’adosser à un réseau de magasins est pertinent dans le sens où l’acquisition de nouveaux clients via internet passe nécessairement par les GAFAM, ce qui est aujourd’hui très cher, détaille Jérôme Monange. Ouvrir des magasins va permettre à Shein d’avoir un autre canal de distribution avec des frais plus bas, mais également des taux de transformation (passage de la visite à l’achat, ndr) supérieurs”.

Une stratégie que la firme chinoise pourra ensuite dupliquer dans d’autres pays européens si elle s’avère concluante. D’autre part, la firme chinoise poursuit l’opération séduction qu’elle mène dans l’Hexagone depuis le printemps. S’associer à des marques emblématiques comme le BHV et s’implanter au cœur des villes françaises lui permet en effet de jeter le doute sur la portée de la proposition de loi anti fast-fashion, qui vise à pénaliser les grandes plateformes de mode éphémère, tout en protégeant les commerces de centre-ville. “Ce qui se passe est éminemment politique, résume Laëtitia Lamari. Avec cette association, Shein dit ‘regardez, on fait aussi partie du paysage mondial de la mode. Même si vous légiférez’”.

“Une bouée de sauvetage” pour le BHV

La SGM offrira donc une visibilité de choix au géant chinois, pourtant régulièrement accusé de surproduire des vêtements au détriment des droits sociaux et de la planète. En contrepartie, Shein affirme vouloir mettre à profit sa maîtrise de la data pour mieux cibler les consommateurs. “Nous serons en mesure de proposer à nos clients, dans ces magasins, ce qu’ils ont envie de porter”, affirme ainsi Quentin Ruffat, porte-parole de la marque, au micro de France Info. “Ils présentent cela comme un partenariat technologique, permettant d’apporter du digital dans un monde du retail un peu fatigué. Mais c’est plutôt une bouée de sauvetage”, observe néanmoins Laëtitia Lamari, analyste e-commerce, interrogée par Novethic.

Le BHV, mais aussi les magasins Galerie Lafayette situés en région, traversent en effet une zone de turbulences. Depuis juin dernier, plusieurs fournisseurs dénoncent des retards de paiement. Conséquences de ces impayés : les rayons se vident, les marques ne pouvant réapprovisionner leurs stocks et certains stands sont même contraints de mettre la clé sous la porte. Face à ces pertes, la SGM semble donc décidée à bouleverser son modèle, quitte à changer de cible et mettre en péril son image haut de gamme. “Il va y avoir un choc de clients et d’offres, explique à Novethic Jérôme Monange, expert en marketing au sein du Lab luxury and retail. Et ce choc sera encore plus marqué avec les Galeries Lafayette, qui travaille sur sa propre marque durable depuis plusieurs années”.

Marques et élus crient au scandale

Le groupe Galeries Lafayette, qui reste l’un des partenaires de la SGM dans la gestion de ses magasins, conteste d’ailleurs fermement l’arrivée de Shein, “au regard du positionnement et des pratiques de cette marque d’ultra fast fashion qui est en contradiction avec l’offre et les valeurs des Galeries Lafayette”. Dans un communiqué, l’enseigne assure que ce partenariat est “contraire aux conditions contractuelles d’affiliation qui lient le groupe SGM aux Galeries Lafayette” et qu’elle “empêchera [s]a mise en œuvre”. Et l’opposition ne s’arrête pas là. Tandis que les fédérations professionnelles de la filière crient au scandale, certaines marques commercialisées au sein du BHV annoncent mettre fin à leur collaboration.

“Cette décision ne correspond pas à nos valeurs ni à ce que nous défendons : une industrie de la mode et de la beauté plus responsable. Je pense qu’il est de notre responsabilité, en tant que marques, de nous positionner clairement”, déclare par exemple sur LinkedIn Mathilde Lacombe, co-fondatrice de la marque de cosmétiques Aime. L’affaire dépasse même les frontières du secteur, entraînant de vives réactions de la part d’élus. “Nous exprimons notre profonde inquiétude face à la décision du BHV (…). Ce choix est contraire aux ambitions écologiques et sociales de Paris qui soutient un commerce de proximité responsable et durable”, indique Anne Hidalgo, maire de Paris. “Shein fait le choix de s’installer à Angers. Mais en aucun cas Angers n’a fait le choix de Shein !”, réagit quant à lui Christophe Béchu, président d’Angers Loire Métropole.

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